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Droit et VIH, une chronique à nuancer

Photo: Archives
Camille de Vasconcelos, Laurent Trépanier-Capistran et Ken Monteith - Collaboration spéciale

Ce mercredi 24 février, Me Frédéric Bérard a publié une chronique sur le droit et le VIH qui a suscité notre intérêt et la création de ce texte ; texte rédigé dans l’espoir de déconstruire les mythes véhiculés sur la transmission du VIH et de nuancer l’explication de Me Bérard sur la criminalisation de la non-divulgation du statut sérologique.

La chronique en question relate l’histoire de l’un de ses étudiants qui aurait eu une relation sexuelle anale non protégée par un condom avec un partenaire séropositif avant que celui-ci ne lui divulgue son statut séropositif au VIH — et sa charge virale indétectable.

Me Bérard fait valoir que, selon son interprétation du droit, le partenaire de son étudiant avait l’obligation de divulguer son statut sérologique avant d’avoir un rapport sexuel non protégé. Il fonde sa position sur deux décisions rendues par la Cour suprême du Canada en 2012, mais omet certaines nuances qu’il importe de souligner. En fait, dans ces décisions, la Cour ne dicte pas clairement les circonstances dans lesquelles une personne séropositive doit dévoiler son statut sérologique à un partenaire sexuel. Elle dicte plutôt les circonstances dans lesquelles une personne n’est pas obligée de divulguer. En ce sens, le critère retenu par la Cour pour déterminer s’il y a — ou non — obligation de divulgation est celui de la « possibilité réaliste de transmission ». Concrètement, la Cour nous donne la directive suivante : une personne séropositive n’a pas à divulguer son statut sérologique à un partenaire sexuel lorsqu’il n’y a pas de possibilité réaliste de transmission du VIH. Bien que la Cour explique qu’il n’existe pas de possibilité réaliste de transmission du VIH (et, par conséquent, d’obligation de divulgation) lorsque la charge virale de la personne séropositive est faible et qu’il y a port du condom, elle reconnaît également que le droit pourra « s’adapter aux futures avancées thérapeutiques et aux circonstances où des facteurs de risque différents sont en cause. » (R c Mabior, 2012 CSC 47, résumé de l’arrêtiste).

Aujourd’hui, le consensus scientifique en matière de transmission du VIH est clair : il n’existe aucune possibilité de transmission sexuelle du VIH lorsque la personne séropositive maintient une charge virale indétectable. Une très grande majorité d’hommes gais vivant avec le VIH qui connaissent leur statut suivent un traitement antirétroviral permettant de réduire la charge virale à un point tel que la transmission sexuelle du virus est impossible, et ce, même lorsqu’il n’y a pas port du condom.

Au Québec, nous savons que les acteurs de la justice concernés par cet enjeu, incluant le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) et le ministère de la Justice, souscrivent à cette avancée. En effet, dans sa position institutionnelle rendue publique en octobre dernier, le DPCP reconnaît que le critère de la possibilité réaliste de transmission n’est pas satisfait lorsqu’une personne vivant avec le VIH suit un traitement antirétroviral comme prescrit et que la charge virale du virus, mesurée toutes les quatre à six mois, est inférieure à 200 copies/ml. En conséquence, le DPCP indique qu’il n’intentera pas de poursuite dans ces cas de figure, puisqu’il n’y a tout simplement pas de risque de transmission.

Malgré ces avancées scientifique et juridique, les personnes vivant avec le VIH continuent de faire face à une importante stigmatisation, laquelle mène souvent à de la discrimination. Cette stigmatisation et cette discrimination sont directement liées à la perpétuation de mythes dépassés et à la méconnaissance générale du public des avancées scientifiques entourant le VIH. Dans un tel contexte, il s’avère extrêmement difficile pour une personne vivant avec le VIH de divulguer son statut, car cette divulgation entraîne trop souvent des conséquences significatives tant sur le plan personnel que professionnel, et ce, même lorsque la transmission du virus n’est pas possible.

Bien que nous ne pensions pas que Me Bérard ait eu cette intention, sa chronique alimente la stigmatisation en renforçant, à tort, l’idée qu’une personne vivant avec le VIH est intrinsèquement dangereuse. La personne séropositive n’est pas le VIH et elle mérite le même respect et la même empathie que tout être humain.

Camille de Vasconcelos, Coordonnatrice, Programme Droits de la personne et VIH/sida, Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (COCQ-SIDA)

Laurent Trépanier-Capistran, Avocat, Coordonnateur, Service VIH INFO DROITS, COCQ-SIDA

Ken Monteith, Directeur général, COCQ-SIDA

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