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Sur les traces de Marco Polo

Photo: Denis Belliveau/collaboration spéciale

Les aventures de Marco Polo, de Venise jusqu’en Chine au XIIIe siècle, ont incité plusieurs explorateurs à parcourir le monde. Certains ont même tenté de reproduire – sans succès – son périple raconté dans Le livre des merveilles. Deux voyageurs ont pourtant réussi là où les autres ont échoué. Entretien avec l’un d’eux, Denis Belliveau.

En 1993, deux New-Yorkais amis depuis le collège, Denis Belliveau – alors photographe de mariages – et Francis O’Donnell – artiste et ancien marine – partent sur les traces de Marco Polo. Leur voyage, de Venise à Venise, en passant notamment par l’Iran, l’Afghanistan, la Chine et l’Inde, durera deux ans. Ils traverseront en tout 24 frontières et parcourront près de 40 000km. Sans téléphone cellulaire, sans l’internet, sans appareil photo numérique. Et seulement par voie terrestre ou maritime. Ils racontent leur aventure dans le film In the Footsteps of Marco Polo, dont des extraits sont diffusés dans le cadre de l’exposition Marco Polo – Le fabuleux voyage, au musée Pointe-à-Callière, jusqu’au 26 octobre.

Comment l’idée de reproduire le voyage de Marco Polo vous a traversé l’esprit?
Je me cherchais un projet de photo qui me ramènerait en Asie. Quand nous avons réalisé que le 700e anniversaire du retour de Marco Polo à Venise aurait lieu en 1995, nous avons fait beaucoup de recherches et nous avons réalisé que plusieurs personnes avaient tenté de refaire ce périple, sans succès. Notre but était d’être les premiers à réussir ce voyage et de le documenter. Nous avons utilisé Le livre des merveilles comme nous aurions utilisé un guide de voyage.

Pourquoi les autres qui ont tenté l’expérience ont-ils échoué?
Surtout à cause de l’Union soviétique et de la Chine, qui ne laissaient entrer personne [à l’époque]. Au cours de la plus grande partie du 20e siècle, c’était presque impossible d’entrer dans les républiques d’Asie centrale comme le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Idem pour la Chine; même dans les années 1990, quand nous y sommes allés.

L’homme qui avait tenté le périple le plus récemment avant nous, dans les années 1980, un étudiant anglais, avait réussi à entrer en Chine, mais il avait été arrêté et expulsé du pays. Il avait aussi évité l’Afghanistan, à cause de la guerre. Pour nous, il était impensable de ne pas aller en Afghanistan. Marco Polo est passé par là.

Vous avez quand même failli ne pas réussir, vos visas pour l’Iran ayant été très difficiles à obtenir…
Ç’a été très difficile, oui. Nous nous disions que, si nous ne pouvions pas aller en Iran, nous allions échouer. Mais nous avons réussi!

Comment vous êtes-vous préparés pour ce voyage?
Il y avait beaucoup de préparation à faire. D’abord, nous devions tracer le trajet où nous devions passer, parce que, depuis l’époque de Polo, tous les noms ont changé. Il appelle Beijing «Canbulac». Qu’est-ce que Canbulac? Oh, c’est Beijing! [Il fallait faire ces liens]. Aussi, nous avons dû faire la liste de ce que Marco Polo a découvert et que nous pourrions trouver, comme le jade. Ensuite, il fallait voir comment nous ferions pour faire le film, trouver de l’argent et les visas. Nous nous sommes préparés pendant à peu près un an avant de partir.

Avez-vous souvent trouvé ce que vous cherchiez, des endroits ou des monuments précis que Marco Polo a vus, par exemple?
Oui! Comme la gigantesque représentation du Bouddha couché, à Zhangye, en Chine. Mais parfois, nous sommes tombés sur des choses que nous ne pensions pas voir! C’est-à-dire, nous en connaissions l’existence, mais nous n’avions pas imaginé les trouver. Comme dans un village ouïgour où les habitants d’une maison écrivent leurs noms sur la porte [en guise de recensement]. Qui aurait imaginé que, 700 ans plus tard, la tradition continuait? Ou encore, nous étions dans une ville et nous avons vu un homme avec une espèce de tumeur – un goitre – dans le cou. Puis une femme. Et une dizaine de personnes! Marco Polo a décrit cette affection à cet endroit.

Mais il y a eu tant de moments où nous sommes tombés sur des choses qu’il avait décrites, particulièrement en voyageant à dos de chameau ou sur des chevaux.

On remarque dans le film que vous avez vécu des situations très dangereuses [traversée de zone de conflit, fusillade, etc.]. Est-ce que vous saviez que vous devriez mettre vos vies en danger pour refaire le voyage de Marco Polo?
Oui, nous le savions.

Auriez-vous pu le faire de façon plus sécuritaire, ou était-ce la seule option?
C’était la seule option.

Pourquoi?
Parce que plusieurs zones où nous sommes allés étaient en guerre à ce moment, surtout en Asie centrale, et particulièrement en Afghanistan et au Tadjikistan. Nous devions passer par là, sinon nous aurions échoué.

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Est-ce que ces endroits étaient dangereux à l’époque de Marco Polo?
C’est une question intéressante. D’une certaine façon, ça ne l’était pas, parce que Polo avait obtenu un «passeport doré» de l’empereur mongol Kubilai Khan. Et l’empire mongol couvrait presque toute l’Asie à l’époque. Avec ce «passeport», Polo avait accès à des chevaux, des gardes du corps, de la nourriture, de l’hébergement partout sur sa route. Mais d’un autre côté, c’était peut-être plus dangereux à son époque à cause des maladies.

Est-ce qu’il y a un moment particulièrement significatif de votre voyage que vous aimeriez raconter?
C’était très important pour nous de photographier et de documenter les rites et coutumes des populations rencontrées. Marco Polo parle tellement des peuples et de leurs cultures dans son récit. Il est un peu le grand-père de l’anthropologie moderne. Comme nous avions le temps, nous laissions souvent nos caméras dans nos sacs à dos durant une semaine ou davantage, le temps de devenir amis avec les gens. Ensuite, nous prenions des photos avec eux.

Mais une fois, dans la jungle de Sumatra […], nous avons été invités dans une hutte. Là, il y avait un cerf qui avait été chassé, couché sur de grandes feuilles vertes. Des hommes avaient des branches dans les cheveux, ils dansaient autour de l’animal et chantaient. Francis et moi nous sommes regardés, des frissons partout sur le corps. On a réalisé qu’on était en train d’assister à une des plus vieilles cérémonies religieuses du monde. Ils remerciaient l’animal de leur avoir donné sa vie pour qu’ils puissent poursuivre la leur. Toutes les cellules de mon corps voulaient aller chercher mon appareil photo! Mais je savais que si je le faisais, la magie serait brisée. Juste le son du «clic»… Je suis photographe, mais vous savez quoi? Laissez-moi photographier cette scène dans ma tête. C’est une des expériences les plus incroyables que j’ai vécues de ma vie.

Marco Polo au musée Pointe-à-Callière

Le musée d’archéologie et d’histoire Pointe-à-Callière, dans le Vieux-Montréal, a inauguré mardi sa toute dernière exposition temporaire: Marco Polo – Le fabuleux voyage. Quelque 200 artefacts seront ainsi présentés aux visiteurs, afin qu’ils puissent découvrir l’expérience de l’explorateur, parti de Venise à l’âge de 17 ans, en 1271, et revenu après 24 ans, en 1295.

Denis Belliveau a pour sa part participé à l’exposition en prêtant au musée deux objets de sa collection personnelle, soit un flacon d’huile du Saint-Sépulcre et un moulage de crâne d’un mouflon de Marco Polo (l’espèce Ovis ammon polii), une espèce décrite par Polo dans Le livre des merveilles.

C’est d’ailleurs ce livre qui «guidera» le visiteur tout au long de l’exposition, à travers les lieux, les coutumes, les environnements et les dangers qu’a rencontrés l’explorateur.

Le film In the footsteps of Marco Polo (en anglais seulement) est aussi accessible sur l’internet.

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