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Combien de temps ça prend à un immigrant pour apprendre le français?

L’apprentissage du français est un défi crucial pour l’intégration des immigrants. Or, même si ceux-ci veulent s’intégrer, apprendre une nouvelle langue ne se fait pas en criant ciseau… Ou tijeras/hety/sizo.

Pour atteindre une «maîtrise fonctionnelle» d’une nouvelle langue, un adulte doit consacrer de 10 mois à deux ans d’étude à temps plein à son apprentissage, évalue le professeur en didactique à l’Université de Montréal Gabriel Michaud. Et pour l’acquisition de compétences linguistiques suffisantes pour exercer une profession ou aller à l’université, on parle de cinq à sept ans d’apprentissage.

Parmi les défis auxquels font face les immigrants, la formation actuelle prévue par le gouvernement ne tiendrait pas compte de leurs parcours migratoires, qui ont un impact direct sur leur disponibilité pour apprendre une nouvelle langue. C’est ce qu’estime la professeure de psychopédagogie Garine Papazian-Zorhabian, qui dirige aussi une équipe de recherche sur les familles réfugiées et demandeuses d’asile.

Les traumatismes vécus lors des parcours migratoires et prémigratoires entraînent un «manque de disponibilité» psychologique et intellectuelle ayant un impact direct sur la capacité d’apprentissage, dit la professeure. Des symptômes comparables à des troubles de stress post-traumatique, comme les réviviscences et les réminiscences, mettent des bâtons dans les roues des immigrants apprenants.

Bien souvent, les personnes immigrantes ont fui leur pays en laissant derrière elles des proches qui sont toujours aux prises avec l’oppression et la violence étatique ou criminelle. «Comment être disponible cognitivement quand on a, d’un côté, les nouvelles qui continuent [dans le pays d’origine] et, d’un autre côté, les souvenirs, les réminiscences et les réviviscences?», s’interroge Mme Papazian-Zohrabian.

Le Québec trop pressé de franciser

Le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration a commandé des études au sujet de l’accueil des immigrants à Mme Papazian-Zohrabian. Les résultats de ces recherches montrent que la force de Québec serait la prise en charge initiale et la réinstallation des immigrants (ce qui se passe dans les six premiers mois suivants leur arrivée).

Le défi, pour le gouvernement, se situerait plutôt du côté de l’intégration, et, plus précisément, de la francisation. Les personnes immigrantes n’auraient tout simplement pas la capacité d’apprendre le français immédiatement à leur arrivée.

Outre le temps dont ont besoin les immigrants pour s’installer, Mme Papazian-Zohrabian suggère de considérer une période pour établir un «niveau zéro» d’apprentissage. Il s’agirait d’un «bain de langage», soit une exposition initiale à la langue dans le cadre d’activités culturelles, sociales et sportives, par exemple.

Ce serait toutefois «difficile à opérer chez l’adulte», selon Gabriel Michaud. N’étant pas catégoriquement contre l’idée, le professeur juge tout de même que les cours de langue en classe «restent la façon la plus accessible, la plus facile de progresser».

Un autre enjeu important, mais trop souvent oublié, serait celui des troubles d’apprentissage. Certains immigrants n’apprendront jamais le français. «C’est comme demander à une personne aveugle de voir» compare Mme Papazian-Zohrabian.

Des cours de français sont offerts aux personnes qui ont des besoins intellectuels particuliers, ou des limitations, rappelle pour sa part le ministère.

Un État qui ne communique qu’en français

Le fameux article 15 de la loi 96, celui voulant que l’État ne communique qu’en français dès les six mois après l’arrivée d’une personne en sol québécois, inquiète Garine Papazian-Zorhabian. «Ce n’est pas une loi qui inspire confiance, tout comme les discours publics» à l’égard des immigrants, dit la chercheuse.

Ça peut entraîner un blocage dans le développement d’un sentiment d’appartenance, et donc, parfois, mettre des bâtons dans les roues des apprenants sur le plan de la motivation à s’intégrer.

Garine Papazian-Zorhabian

Communiquer avec l’État, c’est aussi comprendre et défendre ses droits. Garine Papazian-Zohrabian est catégorique: demander à quelqu’un d’atteindre ce niveau de francisation en six mois, c’est impossible, et tout simplement irréaliste.

«Il y a également des enjeux importants par rapport au respect des droits à la santé, le droit à l’éducation, le droit à la protection, le droit en milieu de travail, dit la professeure. Pour vraiment pouvoir se défendre dans une langue, même deux ou trois ans ne suffisent parfois pas.»

Les immigrants comprennent-ils les enjeux linguistiques du Québec?

Beaucoup d’immigrants ne connaissent pas les enjeux linguistiques du Canada et du Québec à leur arrivée, explique Mme Papazian-Zorhabian. «Ça ne veut pas dire qu’ils y sont insensibles; c’est juste qu’à ce moment-là, au moment de quitter leur pays et d’arriver au Québec, ils ont d’autres priorités.»

On oublie d’ailleurs souvent que plusieurs d’entre eux ne se retrouvent pas au Québec par choix, rappelle-t-elle. La notion de fuite est très importante dans le parcours migratoire des réfugiés et demandeurs d’asile.

Plusieurs ne savent même pas que le Québec est francophone.

Garine Papazian-Zorhabian

Bon nombre d’immigrants se sentent néanmoins concernés par les enjeux liés à la préservation des langues et des cultures, assure-t-elle, puisque plusieurs ont vu leur propre culture menacée ou assimilée. Certains ont même vécu des génocides.

Les rapports effectués par Garine Papazian-Zorhabian sur l’accueil des immigrants ont été remis au gouvernement et l’experte assure voir une main tendue de la part du ministère pour améliorer les services de francisation.

Mais le gouvernement demeure évasif. Le projet dans le cadre duquel il a commandé les recherches de Mme Papazian-Zorhabian en est un «d’envergure qui compte plusieurs étapes». Les rapports viendraient «alimenter la réflexion du ministère dans la révision [de ces] services gouvernementaux». On parlerait entre autres d’un travail de cohérence interministérielle à faire entre le ministère de l’Immigration et le ministère de l’Éducation (MEQ), qui offre lui aussi des services de francisation.

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