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Un «Google du dark web» pour naviguer dans le monde obscur du net

Photo: IStock.com

Un «Google du dark web», permettant d’aller fouiller dans les entrailles obscures d’internet où s’achètent armes, drogues et codes de cartes bancaires: c’est l’outil – à ne pas mettre en toutes les mains – qu’a développé une startup française.

«Nous indexons la quasi-totalité du dark web», souligne Céline Haéri, cofondatrice d’Aleph Networks, interrogée par l’AFP dans les discrets locaux de l’entreprise, nichés au coeur du Beaujolais viticole.

L’accès à cet univers sulfureux se fait très classiquement à travers des logiciels accessibles à tous via l’internet de monsieur «Tout le monde», dont les plus connus sont The Onion Router (ou TOR) et I2P.

Mais là, impossible d’aller plus loin sans navigateur si vous ne disposez pas d’une adresse, longue suite aléatoire de chiffres et de lettres se terminant par «.onion» «.i2p».

Comme Google ou Bing, Aleph indexe et stocke donc des millions de pages internet en 70 langues différentes. En cinq ans, la startup a répertorié 1,4 milliard de liens et 450 millions de documents sur 140 000 sites.

Céline Haéri tape ainsi «Glock» – marque autrichienne de pistolets prisés des mafias – et coche la case «bitcoinx, monnaie virtuelle supposée intraçable. Aussitôt, apparaissent les liens de sites de vente en monnaie électronique.

Certains «affichent même les étoiles de satisfaction de leurs clients», s’exclame son mari – et PDG – Nicolas Hernandez.

Début décembre, leur logiciel recensait 3,9 millions de numéros de cartes de crédit volées. Leur neutralisation était l’un des axes de développement pressentis par Aleph. «Mais les banques sont assurées. Elles s’en fichent», sourit M. Hernandez.

Une autre recherche, sur le Cesium 137, ingrédient potentiel des «bombes sales», fait apparaître 87 sites… Un «supermarché du terrorisme» explique encore comment fabriquer à la maison bazooka ou explosifs.

Ce paysage inquiétant est loin d’être figé. Au sein du «dark web», «les sites tombent très rapidement et se remontent sous une forme légèrement différente».

«En mode garage»

«Sans moteur de recherche, on ne peut pas avoir de vue d’ensemble… Comment font les journalistes qui écrivent sur les pratiques du dark web?», ironise M. Hernandez.

Son logiciel permet lui de visualiser les liens entre sites, pour cartographier le dark web et ses éventuelles connexions avec l’internet légal.

Début 2019, la société ajoutera une couche d’intelligence artificielle pour reconnaître des images: Kalachnikov, enfants victimes d’abus ou marques contrefaites…

A l’origine de l’aventure, M. Hernandez et un ami d’enfance. Ingénieurs informatiques le jour, dans de grands groupes internationaux, hackers la nuit, au service de grandes causes, liberté d’opinion ou lutte contre la maltraitance des enfants.

A la demande de Céline, alors institutrice, ils mettent au point «en mode garage» un logiciel pour agréger les blogs d’enseignants hostiles à la réforme scolaire de Xavier Darcos. Ce logiciel reste aujourd’hui à la base de leur technologie de collecte massive et de structuration d’informations.

Sautant le pas, le trio monte en 2012 sa société, baptisée du nom de la première lettre de l’alphabet hébraïque – et l’une des définitions de l’infini pour les mathématiciens.

Après avoir «failli mourir trois ou quatre fois» et exploré en vain divers marchés, la société trouve à sa grande surprise son salut auprès de la communauté militaire.

«On avait été repérés par la Direction générale de l’armement. Deux jours après l’attentat contre Charlie Hebdo, ils nous ont demandé une démonstration», raconte M. Hernandez.

«L’armée a été particulièrement sensible au discours consistant à dire que, si on ne connaît pas un territoire, ce qui est le cas avec le dark web, on ne le maîtrise pas», relève Mme Haéri.

Culture du «non»

Mais un tel outil ne peut tomber entre toutes les mains, d’autant que le dark web est aussi le lieu où s’organise la résistance aux mouvements totalitaires, relève M. Hernandez, qui se vit volontiers en «protecteur de la cité», au sens des Grecs anciens.

Aleph affirme refuser 30% à 40% des demandes de licence de son logiciel, en s’appuyant sur son comité d’éthique et les conseils – avisés – de ses clients étatiques.

«On tient à cette culture du non», dit-il.

La société, qui compte aujourd’hui neuf personnes, a pu lever 200 000 euros à son lancement, dont 130 000 apportés par un «business angel» du Beaujolais qui a pris 20% de son capital. Elle s’autofinance depuis 2017.

Si elle ne devrait réaliser que 660 000 euros de ventes cette année, elle compte les doubler l’an prochain. Ce qui commence à titiller les investisseurs.

Car l’enjeu est maintenant de décliner pour les entreprises privées les logiciels vendus aux administrations. Ce qui nécessitera d’édicter des règles claires pour répondre à une foule de questionnements éthiques.

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