La Cour suprême des États-Unis a-t-elle assez de huit juges?

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WASHINGTON — La mort de la juge Ruth Bader Ginsburg a laissé la Cour suprême en désavantage numérique lors d’une campagne présidentielle semée par la division, au cours de laquelle le président Donald Trump a déjà suggéré qu’il pourrait ne pas accepter le résultat. Dans ce cas, le plus haut tribunal pourrait être appelé à décider du sort de la nation.

C’est la deuxième fois en quatre ans qu’un juge meurt pendant une année électorale, bien que le tribunal de huit juges n’ait pas été invité à arbitrer des différends électoraux en 2016. Aujourd’hui, les deux parties ont des armées d’avocats prêts à porter le résultat devant les tribunaux.

Le rôle de la Cour suprême pourrait donc être vital pour décider d’une élection contestée, comme c’était le cas en 2000 lorsque sa décision à cinq contre quatre a accordé la victoire de l’élection présidentielle au républicain George W. Bush.

Quelques instants seulement après la mort de Mme Ginsburg, la perspective d’une élection contestée et le rôle du tribunal dans la décision suscitaient déjà des craintes dans l’ensemble du spectre politique.

Mais la composition du tribunal est aujourd’hui très différente de ce qu’elle était après la mort subite du juge Antonin Scalia en février 2016.

Les juges conservateurs nommés par les républicains détiennent cinq des huit sièges, dont le juge en chef John Roberts, qui est le plus proche du centre de la cour sur de nombreuses questions. Les libéraux nommés par les démocrates ont les trois autres.

En 2016, la mort du juge Scalia a laissé le tribunal divisé à parts égales entre quatre conservateurs et quatre libéraux, et il fallait qu’au moins un juge traverse de l’autre côté pour former une majorité au tribunal.

Chaque fois que les juges se divisent à quatre contre quatre dans une affaire, la décision du tribunal inférieur reste en vigueur. Si, par exemple, le tribunal devait se diviser de cette façon dans une affaire sur l’élection, l’égalité ratifierait ce que le tribunal inférieur déciderait.

Donald Trump a dit la fin de semaine dernière qu’il avait «l’obligation» de pourvoir le siège «sans délai» et le chef de la majorité au Sénat Mitch McConnell a promis d’organiser un vote rapide pour le choix de M. Trump dans la chambre contrôlée par les républicains. La dernière fois, la cour avait été privée d’un juge pendant plus d’un an, puisqu’à l’époque, M. McConnell et les républicains avaient refusé d’examiner le choix du juge de Barack Obama, Merrick Garland.

Une perspective «effrayante»

Le professeur de droit à l’Université du Kentucky Joshua Douglas, qui s’inquiétait en 2016 du «cauchemar» d’une Cour suprême à quatre contre quatre dans une année électorale, est bien plus préoccupé par la possibilité qu’un nouveau juge soit nommé dans l’empressement avant l’élection et que les résultats finissent devant le tribunal.

«Pour moi, la perspective la plus effrayante est d’avoir une décision à cinq contre quatre sur une élection présidentielle, où le vote décisif vient d’un nouveau juge» nommé par le candidat qui obtiendrait quatre ans de plus à la Maison Blanche, a soutenu M. Douglas. Il a souligné que la majorité dans un tel cas comprendrait également probablement deux autres juges nommés par Donald Trump, Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh.

En 2016, «le tribunal a fait un très bon travail quand il avait huit juges pendant un certain temps. Il n’a pas eu le genre de décision cauchemardesque à quatre contre quatre sur une question qui affecte le pays», a-t-il ajouté.

Les juges sont censés s’entretenir par téléphone le 28 septembre pour examiner les centaines d’appels qui se sont accumulés au cours de l’été. Certains seront entendus, la plupart seront rejetés. Une semaine plus tard, le 5 octobre, le tribunal entamera son nouveau mandat, et entendra les arguments à distance en raison de la pandémie de coronavirus.

Des dossiers controversés en vue

Le tribunal n’a prévu aucune affaire politiquement explosive avant les élections. Mais des questions plus controversées devraient être traitées après le scrutin de novembre.

Une affaire, dont les arguments seront entendus une semaine après les élections, pourrait faire tomber toute la loi sur les soins de santé connue sous le nom d’«Obamacare». Cette loi fait face à son troisième défi majeur devant la Cour suprême depuis 2012.

L’autre dossier important, qui sera débattu le 4 novembre, concerne un différend entre Philadelphie et une agence catholique qui trouve des foyers d’accueil pour enfants. Le problème est le refus de l’agence de placer des enfants dans des foyers de couples de même sexe.

Toute affaire qui divise le tribunal après les arguments pourrait être suspendue et réentendue lorsque tous les juges seront présents.

Quelques moments dans l’histoire

La Cour suprême a pu fonctionner avec moins que son effectif de neuf membres à trois moments au cours des 50 dernières années: en 1970, 1987-1988 et 2016.

Il y a cinquante ans, le Sénat contrôlé par les démocrates avait rejeté les deux premiers choix du président Richard Nixon, avant que le juge Harry Blackmun ne rejoigne le tribunal en mai 1970. Les juges avaient notamment choisi de reporter leur décision sur la contestation de la peine de mort, selon le livre de Bob Woodard et Scott Armstrong, «The Brethren».

Il a fallu encore deux ans, après le départ à la retraite de deux autres juges, avant que le tribunal ne se saisisse de la question et n’annule tous les statuts relatifs à la peine de mort dans les États.

La Cour suprême a entendu environ 150 affaires au cours de ces années — deux fois plus qu’aujourd’hui — et le juge Blackmun a dû traiter des centaines d’appels dans lesquels son vote déterminait si l’affaire était entendue ou non. En fin de compte, il a voté pour n’en entendre qu’une poignée, selon «The Brethren».

Au cours du mandat de 1987 à 1988, les deux premiers choix du président Ronald Reagan à la haute cour avaient été refusés, avant que le juge Anthony Kennedy ne soit confirmé en février 1988. Le juge Kennedy s’était joint à la cour, et les juges avaient ordonné de nouveaux arguments pour quatre cas dans lesquels ils avaient été divisés, selon le livre «Supreme Conflict», de Jan Crawford. Quatre cents appels attendaient également l’examen du juge Kennedy, selon l’auteure.

Mark Sherman, The Associated Press

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