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Merci Patron: Bye bye, boss!

Photo: Funfilm

En France, plus de 500 000 personnes se sont précipitées en salle pour voir Merci Patron! Un documentaire engagé dans lequel le journaliste François Ruffin décide de confronter l’homme le plus riche de l’Hexagone à un couple de travailleurs ayant été licenciés du groupe d’entreprises qu’il dirige. Ou plutôt de les réunir, de les faire dialoguer. Car le tout est fait avec une montagne d’humour, d’ironie. Et un propos, surtout, qui dépasse les frontières. «Je savais, en la tournant, que cette histoire est universelle», confie le réalisateur.

Fondateur et rédacteur en chef du journal alternatif Fakir, reporter au Monde diplomatique, François Ruffin a depuis longtemps dans sa ligne de mire le milliardaire Bernard Arnault.

Plus importante fortune de France, cet homme d’affaires est président de LVMH, un groupe d’entreprises qui possède dans son portefeuille des marques de luxe comme Moët & Chandon, Kenzo, Fendi.

C’est aussi l’homme auquel le quotidien Libération intima «Casse-toi riche con!» sur sa une en septembre 2012. La raison? Bernard Arnault avait alors fait sa demande de naturalisation belge. Pour pratiquer l’évasion fiscale, soutenaient plusieurs.

La manière dont ce businessman traite ses employés déplaît profondément à François Ruffin. Au point où il a décidé de faire un documentaire sur le sujet. Mais plutôt que de le descendre en flammes de façon entendue, il a choisi d’user d’humour pour attaquer son adversaire. Vêtu d’un t-shirt «I cœur Bernard», roulant à bord d’une camionnette sur laquelle il avait apposé un autocollant «I cœur Bernard» aussi, le journaliste est parti à la rencontre de personnes ayant été affectées par les méthodes de M. Arnault. Puis… il a tenté de leur faire reconnaître combien, dans le fond, ce monsieur est super. Que c’est «un sauveur!» «Un homme courageux!» Que, s’il délocalise des usines de textile françaises en Pologne et en Bulgarie pour offrir des salaires encore plus misérables à ses employés, et faire davantage de profit, c’est pour «maintenir l’emploi! Répandre la prospérité en Europe!».

Au cours de cette aventure, le rigolo journaliste a croisé le chemin de Serge et de Jocelyne Klur. Un couple d’ouvriers, naguère à l’emploi d’une filiale de LVMH. Depuis leur renvoi il y a quatre ans, ils cherchent tous deux du travail. En vain. À la caméra, ils confient qu’ils n’ont plus rien, qu’ils vivent avec trois euros par jour. «Comment vous faites?» lance François Ruffin. «On ne mange pas.» «Ah! rétorque-t-il, toujours avec cette ironie soulignée. C’est un bon régime amincissant! La pauvreté, c’est bon pour la ligne!»

Dans votre film, vous énoncez des clichés qu’on entend parfois sur les personnes pauvres, comme cette histoire de régime amincissant (susmentionnée). Il y a aussi la question : «Mais avez-vous vraiment cherché du travail?» et la remarque «Les pauvres, quand on leur donne de l’argent, ils flambent tout.» C’est la façon qui vous semblait la plus efficace pour mettre en lumière l’absurdité absolue de telles paroles?
Vous savez, si vous brossez les gens dans le sens du poil, ils n’ont rien à vous raconter. Mais si vous les prenez à rebours, ils réagissent en disant : «Mais comment pouvez-vous raconter ça?!» J’ai voulu jouer le rôle de l’éditorialiste qui, tous les matins à la radio, vient nous dire qu’il faut que le marché soit libre, qu’il faut que les patrons puissent gagner plus, que les actionnaires soient mieux rétribués. Quand c’est énoncé dans un studio de radio le matin, l’absurdité du propos ne surprend pas. Tandis que, quand c’est énoncé dans ce contexte, ça paraît évident, quoi.

Vous et Bernard Arnault, c’est un amour de longue date. Vous avez déjà déclaré à plusieurs reprises : «Ça fait depuis 2005 que je lui cours après. Pour guérir de ma blessure, j’ai décidé de faire un film.»
Ça fait une dizaine d’années, oui. Et c’est à peine si j’ai réussi à attirer un peu son attention. Là, je crois que j’arrive au bout, quoi! Quand on a vécu un amour malheureux, désespéré comme ça, il faut réussir à faire son deuil. Ce film, c’est peut-être, quelque part, ma tentative de faire le deuil de mon amour pour Bernard Arnault.

C’est votre dernière danse, votre chanson d’amour finale, une façon de tourner définitivement la page…
… et c’est pour l’aider aussi! Parce que, vous savez, ces ultrariches, ils vivent quand même dans un autre monde. Je voulais essayer de ramener Bernard Arnault au monde des mortels, des gens normaux, quoi! Qu’il aille manger des frites à la Friterie chez Jojo avec Serge et Jocelyne. J’avais tout un programme de réinsertion sociale pour lui! Malheureusement, c’est resté un peu un rêve.

 

«Je suis un élève de Michael Moore. Ça, c’est clair et net. J’ai vu un paquet de fois Roger et moi. J’ai appris à parler anglais avec ses cassettes. Donc, qu’on me compare à lui, ça me va, quoi!» – François Ruffin, journaliste et réalisateur

Ce qui ressort de votre film, c’est que la vie de cet homme est quand même assez triste, non?
C’est ce que je pense! L’année dernière, il a gagné l’équivalent de 563 000 années de SMIC [salaire minimum interprofessionnel de croissance]. Il faut donc imaginer tous ces travailleurs cousant des costumes Kenzo dans une grotte depuis l’âge du feu jusqu’à aujourd’hui pour trouver une équivalence à une année de son revenu.
Mais, quand même, quand on le voit aller, qu’est-ce que ça doit être chiant! La plupart d’entre nous ont des vies compliquées. Mais au moins, il y a plein de trucs qui nous arrivent! Lui, c’est une machine à calculer. Son plus gros souci, c’est de savoir s’il doit s’acheter un plus grand yacht l’année prochaine ou pas. C’est triste. J’espérais donc lui apporter un peu de bonheur.

Vous divisez votre film en actes. The Mission, The General Meeting, The House. La musique est remplie de suspense, l’ambiance est tendue. C’était un trip de jouer les héros de film d’action?
Je voulais absolument que mon film soit populaire. Qu’il n’y ait pas de barrières culturelles, que tout soit compréhensible par tout le monde, qu’il n’y ait pas besoin d’avoir un BAC+1 en économie ou en sociologie pour comprendre. Qu’il n’y ait pas de leçon. Que ce soit juste «Je vais vous raconter une histoire». C’est pourquoi j’ai choisi de m’appuyer sur du cinéma de genre. Incorporer des éléments du suspense, de l’espionnage et de la comédie, surtout! Aller davantage vers quelque chose de rigolo, d’entraînant, que de pédago, quoi.

Après cette aventure qui vous a amené à vous déguiser, à faire des mauvais coups, à tenter de piéger un «vilain», le retour à la réalité est-il difficile?
J’ai du mal à sortir de mon histoire! Parce que j’étais tellement bien dedans à interpréter plusieurs personnages! Je menais une vie plurielle et formidable. Moi, je vis pour ces moments où l’adrénaline monte!

Merci Patron!
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