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Une dernière danse avec Sergei Polunin

Photo: Photo : collaboration spéciale

Quand il a claqué, scandale, la porte du Royal Ballet de Londres, on a collé à Sergei Polunin l’étiquette de bad boy, de wild boy, de boy qui ne se pointe jamais aux entrevues. Avec, en prime, tous les éléments contribuant à la construction du personnage. La coke. Les tatouages. Les groupies qui rigolent dans les coulisses. Le comportement imprévisible. La totale. Produit par la BBC, Dancer montre cependant toute la fragilité cachée sous l’armure de fer. Et cette émotivité à fleur de peau doublée d’un désir de petit garçon, presque, qu’avait l’artiste de voir sa famille brisée revenir ensemble.

Toute l’extase et la douleur, la beauté et la colère, l’obédience et la révolte. Danseur extraordinaire, Sergei Polunin vibre de ces facettes contrastées. Des facettes qui semblent aussi, pour lui, intimement liées au ballet. Une discipline ayant été, dans son cas, source des plus grands émerveillements comme des peines les plus intenses.

S’ouvrant sur les mythiques notes lourdes du Iron Man de Black Sabbath («Has he lost his mind?»), Dancer suit les pas de cet artiste refusant, lui, de suivre les règles. Le long métrage est signé par le cinéaste Steven Cantor qui, par le passé, a réalisé un docu sur les Pixies (et un sur James Blunt). Le portrait qu’il dresse du «nouveau Noureev» est complexe et profond, ce dernier apparaissant d’abord comme une rockstar déchaînée, puis comme un artiste brillant et hypersensible.

Au bout du fil, on a la confirmation que l’image, la première, a été fabriquée par certains journalistes. Que Sergei Polunin n’est nullement le type malcommode se foutant de tout qu’a dépeint la presse britannique dans les mois menant à son départ-choc du Royal Ballet de Londres, en janvier 2012. Sa voix est délicate, ses mots pesés, son émotion réelle. Au sujet du documentaire qui lui est dédié, il confie doucement ne l’avoir «vu qu’une fois». Contre son gré. «David LaChapelle m’a invité chez lui. Je me suis soûlé. Puis il m’a annoncé qu’on allait regarder un film. Le mien. J’ai fini par accepter. Mais c’était extrêmement difficile et bouleversant.»

Si Sergei mentionne David LaChapelle – célèbre photographe et vidéaste américain connu pour avoir concocté des clips pour Amy Winehouse et Elton John –, c’est qu’il a joué un rôle majeur dans sa vie. À savoir: immortaliser sur caméra ce qui devait, théoriquement, être sa «dernière danse».

C’était l’an dernier, au son du Take Me to Church, de Hozier. Dans la vidéo, visionnée depuis plus de 16 millions de fois sur YouTube, le danseur interprète une chorégraphie viscérale, marquée par ces sauts hauts comme ça, cette force inouïe, cette technique irréprochable et ce style, ce vrai, qui ont fait sa marque. «J’étais très triste à l’époque, se souvient-il. C’était ma première expérience de création véritable.»

Les mots «première» et «véritable» peuvent étonner quand on sait que Polunin, 27 ans, danse depuis qu’il en a 3. On est moins surpris lorsqu’on sait qu’il s’est longtemps senti coincé dans cet art qui est passé pour lui de passion à obligation. Pour de multiples raisons.

C’est sa mère, Galina Polunina, qui rêvait pour lui d’«une meilleure existence que la sienne», qui l’a inscrit au ballet dans le village de Kherson, en Ukraine, où il a grandi. D’emblée, on aurait dit qu’il était né pour faire ça. Exactement ça.

Pour le propulser plus loin (lire : dans une grande école de Kiev), la famille de Sergei a tiré à la courte paille. L’enjeu : deux «perdants» partiraient à l’étranger, pour gagner un peu de sous. Sa grand-maman a ainsi émigré en Grèce, pour travailler auprès d’une «vieille babouchka». Son père, lui, a mis le cap sur le Portugal, où il est devenu jardinier. Tout l’argent amassé était destiné à payer les cours de ballet. «On était une équipe, note le papa mélancolique à l’écran. Et ce petit garçon était notre plus grand espoir.»

Mais avec les grands espoirs vient la titanesque pression. Pour se montrer à la hauteur de ce «sacrifice ultime», comme l’avait qualifié sa mère, Sergei s’est mis à pratiquer tout le temps. Tellement qu’il a décroché une audition à l’hyper prestigieux Royal Ballet. II a été accepté. Il était trop bon. On lui a fait sauter trois années. À seulement 19 ans, il est devenu premier danseur de la compagnie. Un record dans son histoire.

Comme s’exclame dans le film son ami, le chorégraphe Jade Hale-Christofi: «Il avait un talent brut!» Ce talent, Sergei Polunin a-t-il déjà regretté d’en être doté? Il soupire, pensif. «C’est surtout l’industrie qui m’a déçu. J’avais l’impression de n’avoir aucune liberté. Je ne comprenais pas pourquoi j’avais gaspillé mon temps à devenir le meilleur à l’école pour ensuite stagner au sommet. J’ai commencé à blâmer ma famille, ma mère. J’ai même commencé à blâmer le ballet! J’étais comme un ado fâché.»

Le film pose d’ailleurs la complexe question: quand on a un don, a-t-on l’obligation absolue de l’exploiter? Et si oui, à quel prix? Car Polunin l’a payé. Sous la pression accumulée depuis l’enfance, il a commencé à craquer, à magistralement fêter, à manquer ses répétitions, à se pointer sur scène dans un état second – et malgré tout, à toujours danser comme un dieu.

Assoiffés de croquant, les journaux se sont régalés de ses dérapes, usant de titres faits de «crises», «drogues» et «dépression». «Je me suis fait avoir, avoue Sergei. J’ai commencé à y croire. À jouer avec l’image négative qu’ils dressaient de moi.» Quand il a quitté la compagnie, ç’a été la déferlante. «Plus personne ne voulait travailler avec moi.» Même la ballerine Natalia Ossipova, véritable étoile, a longtemps clamé: «Jamais je ne danserai avec lui!» Aujourd’hui, ils forment un couple d’amoureux – et de danseurs. En effet, Polunin a fini par renouer avec le ballet, y retrouvant la joie d’autrefois. «Je regrette d’avoir, en quelque sorte, tout détruit. Mais après toutes ces années de révolte, j’ai enfin trouvé des bases solides sur lesquelles m’appuyer.»

Vendredi soir à 19h30
Au Musée des beaux-arts de Montréal
Dans le cadre de Phi@MBAM

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