Mon histoire d’harcèlement

Alexandra Philibert, l’auteure de cette lettre qui circule actuellement sur Internet (publié sur www.bouclemagazine.com), a accepté que Métro publie son œuvre dans sa section opinion.

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Marcel Aubut fait les manchettes. Cette histoire crée des remous sur le web, dans les médias, dans la communauté sportive, mais aussi dans mon dedans. Beaucoup dans mon dedans.

Ça fait quelques jours que je mâche mes mots et ils tournent en boucle dans ma tête depuis. Ils me grugent l’intérieur et je n’en peux plus. C’est que voyez-vous, cette histoire-là, c’est un peu la mienne et celle de beaucoup trop de femmes. Par le passé, j’ai été victime de harcèlement, à la limite de harcèlement sexuel, au travail. J’ai encore un peu de difficulté à en parler parfois. J’ai eu peur, comme ces femmes qui n’ont pas dénoncé Aubut, de l’impact sur ma carrière, mais je n’ai plus peur. Je n’ai plus peur car mon travail acharné parle de lui-même et qu’avoir peur c’est lui donner un pouvoir qui ne lui appartient pas.

On ne dénonce pas, parce qu’on a peur de tout perdre. On a peur que si on le fait, nous n’aurons plus d’emploi, que notre carrière sera endommagée et que notre vie sera un enfer. Subir du harcèlement, en gros, c’est avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Combien de femmes n’ont pas dénoncé, combien d’autres ont tenté de le faire sans aboutissement auprès de leurs employeurs?

Mon histoire, j’ai essayé de la régler en adulte. Ça n’a pas fonctionné. Cette personne, sans être mon patron direct, faisait partie de la direction de l’entreprise. Je me suis décidée à en parler à une supérieure. Les choses ont été prises en main par un autre patron du mieux qu’il pouvait, pour être finalement stoppées par le niveau patronal plus haut. Je ne voulais pas nécessairement qu’il perde son emploi, je voulais simplement que ça cesse. L’énergie me manquait, j’avais envie de pleurer tous les soirs, j’avais peur de me rendre au travail et qu’il y soit, même s’il n’y travaillait pas souvent. Je vivais dans la peur et vivre dans la peur n’est pas une vie.

Le harcèlement en soi s’est arrêté mais l’ambiance au travail s’est détériorée. Certaines personnes, outrées par l’histoire au départ, ont changé leur fusil d’épaule. J’étais maintenant trop «fermée» envers lui, je devais mettre de l’eau dans mon vin et je me suis fait dire que j’avais probablement été trop friendly avec lui. Qu’au final, cette histoire, c’était peut-être de ma faute.

L’affaire, c’est que se faire dire de telles choses, ça te fuck la tête un moment. Tu finis par y croire que c’est de ta faute, que t’as induit la personne en erreur, même si elle a le double de ton âge et que tu avais quand même été très claire dès le départ. Qu’à quelque part tu as posé le mauvais geste, que cette situation, c’est toi qui l’as créée.

C’est là que ça fait clic dans mon cerveau. Personne ne demande à être harcelé! C’est tellement facile de blâmer la victime au lieu de reconnaître la culpabilité du harceleur. C’est tellement facile de dire que la femme aurait dû parler avant. C’est en partie pour ça que les femmes ne dénoncent pas. Ça, et le sentiment de honte que l’on a.

Comprenez qu’une histoire de harcèlement, ce n’est jamais ni blanc ni noir et que personne ne la vit de la même façon. Ce n’est pas non plus parce que le dossier est «clos» que c’est terminé. C’est beaucoup plus complexe que ça psychologiquement. Parfois, certains sont blâmés à tort, parfois non. Mais si l’histoire est véridique, sachez que personne, je dis bien personne, ne demande à être harcelé.

Aujourd’hui, j’ai encore peur. Peur que ça arrive de nouveau. Ce genre d’histoire, ça ne te quitte jamais vraiment. Ça brise quelque chose en-dedans de toi, un lien de confiance et tu sais pas trop si ça va se réparer un jour. Chaque nouvel employeur part avec une prise contre lui. Et si ça recommençait? Si cette nouvelle entreprise gérait le tout comme la précédente?

Et si, cette fois, c’était la fois de trop?

Et toi, t’espères vraiment te tromper et qu’il n’y aura jamais d’autres fois.

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