Tunisie: la démocratie à la dure

«Les laïcs ont battu les islamistes», c’est l’une des aberrations colportées par certains médias de l’Occident après les récentes élections législatives tunisiennes. Or, la réalité est plus complexe.

Le jour de l’annonce des premières tendances prévoyant la défaite d’Ennahdha, j’ai croisé l’une des ferventes admiratrices du parti islamiste de Rached Ghannouchi. D’habitude joviale, cette travailleuse autonome montréalaise qui arbore fièrement son chic voile m’a paru triste. Dès que j’ai évoqué l’actualité de son pays d’origine, elle m’a lancé: «C’est le retour de Ben Ali et sa bande de voleurs qui ont ruiné le pays. Tout ça pour ça!» J’ai beau lui dire que c’est le choix du peuple et que c’est le temps du vrai apprentissage de la démocratie pour Ennahdha dans les rangs de l’opposition, mais c’est en vain!

Pour avoir un autre son de cloche, j’ai téléphoné à une amie d’origine tunisienne, une spécialiste de l’action humanitaire et militante de gauche très impliquée socialement. Je la taquine en la gratifiant du sobriquet de «radicale». Pour elle, un vrai changement passe par l’exclusion du jeu politique de tous les anciens du régime et leurs courtisans. Elle aussi déplore la présence au sein du parti gagnant de figures connues à la solde du dictateur déchu Ben Ali et sa mafia qui a détruit le pays. Difficile de la contredire, mais la «radicale» espère encore la rédemption de la Tunisie!

Pour terminer mon tour d’horizon, j’ai rencontré mon troisième contact. Un pro du marketing, mais conservateur à ses temps libres. Il représente bien une frange importante de la majorité silencieuse tunisienne. Avant de nous attabler au café, il a poussé un soupir de soulagement en résumant la situation: «Je suis content des résultats car, enfin, la Tunisie retrouvera la loi et l’ordre. Le parti Nida Tounès est un beau mélange de politiciens aguerris. Ils sauront sortir le pays de sa zone de turbulence. Le peuple a besoin de sécurité et de travail pour oublier la crise et son chômage. Trop de politique politicienne a failli nous ruiner pour de bon.»

Pour vous dire, la défaite d’Ennahdha, le parti islamiste qui a maîtrisé le temps politique tunisien depuis presque trois ans, était prévisible, non pas parce que les laïcs ont le vent dans les voiles, mais parce que, face à l’épreuve du pouvoir, Ennahdha a failli. Bienvenue en démocratie.

Cet apprentissage à la dure des islamistes met les bases d’une démocratisation graduelle de la Tunisie, un pays courageux malgré sa crise. Et quoi qu’on dise, le parti vainqueur semble avoir trouvé la formule pour attirer les mécontents de tout bord.

Mené par l’expérimenté Béji Caïd Assebsi, Nida Tounès prend la forme d’un cartel d’anciens du régime, de syndicalistes, de gauchistes désabusés, de laïcs de la classe moyenne et de la bourgeoisie. Ils sont tous contre et les islamistes et la gauche radicale!

La Tunisie n’est pas à l’abri d’un retour en force des fantômes de l’ancien régime dictatorial et sa mafia, ni d’islamistes plus radicaux qu’Ennahdha. Cela dit, même ambiguë et en pleine gestation, la démocratie est en marche en Tunisie! On ne peut que lui souhaiter de réussir.

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