Brel ne nous a pas quittés

Samedi soir, pendant que nombre d’entre vous étaient en train de vous la péter à coup de Jagermeister, à poster sur Instagram des selfies la face suante et à avoir un interminable débat interne à savoir si, oui ou non, c’était une bonne chose de frencher cette personne rencontrée y’a trente minutes lors d’un eye contact invitant sur une toune de Skrillex, moi j’étais assis dans la salle culturelle de Drummondville entouré de têtes blanches. Vous savez quoi? Je m’en plains pas du tout.

Un couple d’amis avait quatre billets pour le spectacle hommage à Jacques Brel. Mise en scène de Luc De Larochellière. Brel, c’est Brel. C’est une valeur sûre, mais impossible à imiter. Concernant Luc, je respecte l’artiste, réservé, intègre; donc ma douce et moi étions curieux.

En plus, j’aime aller voir des shows avec une salle remplie de vieux. Y’a pas de maudits cellulaires ni de tablettes levés dans les airs qui te scrap la vue, brisent la bulle, l’ambiance, le moment. Entre la performance et toi, y’a rien, puis ben, le rien a cette qualité d’être un pas pire amplificateur de sensations et d’émotions. Et surtout, les vieux savent écouter, fermer leur yeule. Y’a personne qui crie des jokes plates, des demandes spéciales. Pendant Paul Piché, personne n’a crié «Heureux d’un printemps!!» (Oui, Paul Piché était des interprètes. Oui, sur le coup, c’est un fit étrange, mais il s’en tire très bien). Les pauses dans un show, les silences, la douceur ne leur font pas peur, ils n’ont pas été élevés aux rythmes effrénés des films over bourrés de jump cut, ou de musique d’hyperactif comme le dubstep. Ils savent savourer, prendre le temps. (J’aime ça le dubstep en passant). Oui, sortir de la salle prend trois heures parce que des souliers thérapeutiques, c’est pas réputé pour te faire flotter tel un Usain Bolt. Mais, en gros, j’aime voir des shows avec un public de vieux.

C’était un peu inégal par moments, mais ils nous ont eus. Isabelle Boulay, Diane Tell, Bruno Pelletier, Luc De Larochellière, Paul Piché, mais surtout, surtout Danielle Oderra. C’est qui ça? On ne la connaissait pas avant samedi soir. Une chanteuse populaire dans les 1960, 1970. Ancienne amie intime de Jacques. Le genre de dame groundée les racines profondes dans le sol à un autre étage, une autre fréquence, une autre époque. Dans le temps où justement, ils savaient le prendre, le temps. Elle a lu la dernière lettre que Jacques a écrite peu avant de mourir à sa sœur à elle, aussi amie de Jacques. J’ai dit à ma blonde: «T’es à une personne de Brel, le sais-tu?» Mettons que ses interprétations avaient un poids, une valeur unique.

Après le show, madame Oderra nous a parlé, cinq minutes. Quand je suis sorti de cette discussion, j’étais posé et zen comme après une fin de semaine dans un chalet à Tremblant à manger des raisins sur une peau d’ours. C’était comme parler yeux dans les yeux avec un moine tibétain, ou Yoda. En plus j’ai dit une niaiserie que je ne pensais même pas, elle a récupéré et m’a remis à ma place calmement, sagement, comme un maître de Kung Fu qui te met par terre à une main, l’autre main dans le dos, sourire et quiétude dans la face.

On est rentrés à la maison, on a décanté, ma blonde s’est couchée, et moi, j’ai passé la nuit à revenir tranquillement du plat pays.

Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.

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