Je vous présente Ronald

Jeudi soir dernier. Je suis au Saint-Bock, rue Saint-Denis, avec une amie. C’est plein, pu de table, de banquette. Le monde aime ça, d’la bière pis des hamburgers. On n’est pas des princesses, donc on s’assoit au bar. J’ai jamais rien eu contre être assis au bar. T’as le service dans face, et une fois que tu fais face à ton interlocuteur, t’as personne à droite ou à gauche à deux pouces de ta table qui peut entendre ton histoire de one night louche. Le bar, c’est intime.

On jase, on boit, nos yeux dévient parfois vers la télé dans notre face. Nous sommes assis au bout du bar, nous occupons les deux avant-derniers bancs. À la gauche de mon amie se trouve le dernier. El último. C’est sur ce banc que viendra s’installer Ronald. La moyenne d’âge du Saint-Bock est de 25 ans, et le nombre d’amis par table varie de deux à six. Ronald a au moins 60 ans et est seul. Sa barbe et sa tête blanche dans le décor jeune-branché bière-fusion-musique-lounge skinny-jeans-bixi-Amir Khadir, détonnent. Il s’assoit, commande une bière.

Le sac à main de mon amie, qui se trouve sur le bar à la merci des voleurs ninjas capables de voler quelque chose se situant dans ta face, dérange Ronald. Sans rien demander, il prend la ganse et fait un nœud autour du poteau qui longe le bar à l’horizontale. «Tiens, tu ne te le feras pas voler. C’est plate se faire voler un sac. Ça m’est déjà arrivé.» Geste candide posé de bonne foi ou geste d’un homme seul qui veut engager la conversation? Peu importe, il a percé notre bulle, il est là, aussi bien lui jaser. Puis, les deux, mon amie et moi, on aime ça les vieux.

Il nous jase de ses 10 ans en design, puis de son retour aux études en chimie, de son travail de recherche sur les piles au lithium. Ta manette de télé, ta souris, ta manette d’Xbox, ton vibrateur, tout ça, c’est un peu grâce à Ronald si ça dure un peu plus longtemps qu’avant.

Puis, inévitablement, on devait poser la question. «Qu’est-ce qui vous amène ici?» «Ma femme, le jeudi, elle passe la balayeuse. J’haïs ça le bruit! Je suis intolérant aux hautes fréquences. Faque le jeudi, je sors.» C’est tout. Simple de même. Ronald, le jeudi, fait la tournée de cinq bars, toujours les mêmes, toujours dans le même ordre, prend un verre dans chacun et rentre tranquille chez lui rejoindre sa femme déjà couchée et son plancher tout frais lavé. «Fait 35 ans qu’on est mariés. Je la laisse faire ce qu’elle veut, elle me laisse faire ce que je veux.» Puis il en rajoute.

«Si tu tiens une poignée de sable serré dans ton poing, le sable va sortir d’entre tes doigts. Mais si tu mets ta main comme une louche, que tu prends du sable et le laisses libre, sans le serrer, il va rester dans ta main».

Jeudi dernier, deux célibataires de 31 ans ont écouté Ronald, vieux sage des bars du Quartier latin leur parler des secrets d’une union qui dure depuis 35 ans, puis sont retournés à leurs histoires de one night… une main en forme de louche.

Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.