Impérialisme doux

Photo: Collaboration spéciale

«Tiens, ce n’est pas un couteau que j’ai dans le dos aujourd’hui. C’est une industrie» –Hélène Monette

En voyageant à travers la province, est-ce que vous vous êtes déjà dit : «Présentement, je pourrais être dans n’importe quelle ville.» Ciboire que c’est plate, tous ces nouveaux développements urbains au Québec. Partout, des mini Quartier DIX30. Le même centre-ville à l’américaine, comme le même refrain d’une toune aliénante.

Je vous cite Gaston Miron : « Quand je me bats, c’est pour ma différence, c’est-à-dire ma culture au monde. C’est ma version à moi de vivre l’humanité. Et cette version est une contribution et un enrichissement à la culture universelle.»

L’équation est simple : plus on se fait envahir par les mêmes multinationales, plus notre version de vivre l’humanité, c’est-à-dire notre culture, s’amenuise. Le résultat final : un ennui mortel.

Cet impérialisme doux transforme notre planète en aéroport. Quelle est la différence entre l’aéroport de Hong-Kong et celui de Montréal? Aucune. Mêmes codes, même odeur. Un jour, le monde sera un gigantesque aéroport, où chacun attendra dans l’ennui de s’envoler pour l’autre monde.

Est-ce qu’on veut une culture uniforme, prévisible, sans nuance et identique de Las Vegas à Charlevoix? McDo pour la bouffe, Starbucks pour le café et Netflix pour les films de propagande hollywoodienne. Assimilation culturelle pis on paye pour. En 1968, lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie par la Russie, les noms des rues, des infrastructures et des musées avaient été changés. Les nouveaux noms provenaient de la culture russe. Les maîtres laissent souvent leur nom en héritage. À Rimouski, ma ville natale, la salle culturelle s’appelle «Desjardins-Télus»; à Québec, on a le Colisée Pepsi; à Montréal, on a le Centre Bell et le cinéma Banque Scotia. Partout, les puissantes corporations écrivent leur Histoire. Comme dirait Alexandre le Grand, roi de l’Antiquité qui a conquis l’ensemble du monde connu : «Allez-y mollo, gang».

À force d’occuper autant de place sur le territoire, elles l’occupent aussi dans nos têtes. Qui peut nommer trois poètes québécois de notre génération? Pourquoi ça constitue un défi? Imaginons un Québec où l’on remplace toutes les publicités de l’espace public par des vers et des citations de nos poètes, de nos philosophes et de nos scientifiques. Au lieu d’avoir une grosse pub débile d’une radio commerciale débile avec des faces d’animateurs débiles aux slogans débiles «La puissance des hits», on aurait un vers de la furieuse Hélène Monette : «Nos âmes sont vagues, assoiffées de rivages.» Ça commence bien un matin! Tu marches encore et au lieu de voir une pub d’iPhone merdique, tu lis une phrase de Kim Thùy : «Le paradis et l’enfer s’étaient enlacés dans le ventre de notre bateau.» Ça développe de la compassion envers les réfugiés qui débarquent au pays, non? Imaginons qu’à chaque coin de rue, on nous remplisse d’humanité au lieu de cossins à acheter. Si tu me traites d’utopisse, fais-toi greffer une âme : y a des artistes qui ont signé leur carte de don d’organes.

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