Les façons de mourir vaincues par les raisons de s’en sortir

Photo: dessin de Gabrielle Camiré.

Kevin Ménard est un jeune Sherbrookois de 21 ans. Ce magnifique texte, qu’il a publié sur Facebook, mérite d’être lu par quiconque broie ou a déjà broyé du noir, ainsi que par ses proches, autant ceux qui lui offrent de l’aide que ceux qui l’assaillent de préjugés.

Fait qu’y a neuf mois, je comptais les façons de me suicider en entrant dans une pièce. Dans la salle de bain de mon ancien appart, par exemple, 13 façons différentes, 14 si j’étais vraiment créatif. Y a neuf mois, j’étais à terre, je fusionnais avec le plancher froid de mon salon. Y a neuf mois, je laissais des bouts d’âme derrière moi, comme des tranchées de détresse. Las, incapable de me relever, j’ai décidé, un soir où j’étais bi’n saoul, d’entrer à l’hôpital. D’accepter que j’avais un problème, que mon cerveau tournait pas rond, que mes pensées me tuaient à petit feu.

Ce soir-là, j’étais étendu dans mon salon, la tête contre le sol. Mes sanglots étaient tellement profonds et tellement rough que j’avais envie de vomir à chaque fois. J’ai pris mon portable comme une fusée de détresse, et j’ai envoyé ma prose dévastée à Marie-Anne Bergeron (shout-out, t’es la meilleure personne). Un peu après, j’ai vu son visage apparaître dans la fenêtre embuée de mon appart trop froid. Ma vision était pas mal calfeutrée par le vin, mais j’ai quand même aperçu toute l’inquiétude du monde dans son visage. Elle était prête à défoncer la porte pour venir me chercher, mais elle était quand même soulagée d’apprendre que je l’avais laissée déverrouillée. Elle m’a tiré par les oreilles, m’a embarqué dans son char et m’a emmené loin, pas tellement au pays des merveilles, mais dans un monde où la réalité est dure.

Sur le trajet de l’hosto, j’ai pleuré, pleuré comme quelqu’un qui doit sans cesse se rappeler que le suicide, c’est pas une solution. Tout ce que j’arrivais à désarticuler, c’était des «je suis pas fou, hein?» qui se perdaient dans le bruit du moteur. J’ai arraché des larmes invisibles à mes yeux rougis pendant tout le trajet avant d’entrer aux urgences. Là-bas, l’infirmière m’a posé des questions et Marie-Anne, voyant que j’en avais pas la force, a répondu à ma place. On m’a transféré dans une autre unité, où on m’a enlevé mon cellulaire, ma ceinture et les vestiges de ma dignité.

Pendant mon séjour à l’USR, j’ai rencontré une bonne dizaine de spécialistes : des urgentologues, des travailleurs sociaux, des psychologues, des infirmières, des thérapeutes et des psychiatres. Tous en sont venus à la même conclusion, au même diagnostic qui m’a extirpé de mon état de semi-conscience: dépression majeure, anxiété sociale et alcoolisme. Même avec du recul, je sais pas trop ce qui m’a le plus frappé. L’alcoolisme, probablement. C’était comme de me faire dire que mon remède miracle m’avait traîné jusqu’au fond du gouffre. C’était comme de me faire dire que le seul truc qui me retenait en vie me tuait en même temps.

Pendant presque deux semaines, j’ai contemplé les murs sans vie de l’unité, j’ai erré dans les couloirs, j’ai essayé de mettre sur papier mes feelings, mais je me suis rendu compte qu’ils étaient encore beaucoup trop nébuleux pour les définir. Entre les pauses-clopes, les centaines de mandalas et tous les proches qui sont venus me voir en masse pour me sauver de l’ennui, j’ai appris sur moi-même… J’ai appris plus en dix jours qu’en vingt ans d’existence. Je suis sorti, sous recommandation du psychiatre, parce que j’étais prêt. Prêt à changer les choses.

Les mois qui ont suivi ont pas été de tout repos. J’ai arrêté de boire, j’ai rechuté, j’ai essayé encore, et je me suis planté royalement. Je cachais les bouteilles de vin vides derrière mon divan et les caisses de 50 dans mon garde-robe pour éviter d’alerter qui que ce soit. Je vidais mes médocs dans la poubelle parce que c’était trop difficile pour moi d’accepter de vivre en marge de la sanité. C’est ma psychiatre, un jour en thérapie de groupe, qui a décidé de me marteler avec la seule vérité qui importait: j’avais un réel problème. Ça m’est apparu comme plus clair d’un coup et, rendu chez nous, j’ai commis le plus éloquent des sacrilèges en vidant dans l’évier toutes les bouteilles qui traînaient chez nous.

Sur le droit chemin un peu sinueux de la guérison, j’ai croisé pas mal de gens et j’ai été assailli par les préjugés qui s’attaquent encore à la maladie mentale (because it’s 2015 mon œil). J’ai entendu des trucs inhumains, des «Kevin, come on, le bonheur, c’est un choix de vie, pas un truc qui t’arrive comme ça», des «Sérieux? Tu t’en vas en congé de maladie en plein été? T’es au courant que ça va fuck up les semaines de vacances de tout le monde? » et – pire –, des « Kevin, y a des enfants en Afrique qui ne mangent même pas; botte-toi le cul un peu». Je me suis rendu compte qu’on causait pas assez pour la cause, que la dépression était encore tabou, que l’anxiété sociale laissait un froid dans n’importe quelle discussion. Pas indemne pantoute, j’ai quand même surmonté tout ça.

Aujourd’hui, ça fait six mois et des poussières que je suis sobre. Ça fait six mois que je me donne une chance d’aller mieux. Je suis médicamenté (et je prends mes médicaments!), mais je fais des efforts monumentaux tous les jours pour amenuiser l’ampleur de mon anxiété sociale, pour prévenir un retour insidieux de la dépression. Accessoirement, ça fait quelques semaines que j’occupe le meilleur poste dans le meilleur organisme, que je m’épanouis pour la première fois de toute mon existence dans un emploi qui correspond à toutes mes valeurs et convictions.

Fait que toi, toi qui comptes les façons de te suicider en entrant dans une pièce, toi qui sais qu’il y en a dix-huit dans une salle de classe au pav 3, toi qui te dis que ta vie trop morne te donne des centaines de raisons de mettre un point final à tout ça: viens, on va meet up autour d’un verre de kombucha, pis je vais te donner 100 000 raisons de t’en sortir.

– Kevin Ménard

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