La cousine

Ligne d’autobus 51, direction est. C’est jeudi, il est 15 h 30.

L’autobus est habité par une quinzaine de passagers. Comme plusieurs places sont libres, je me permets d’occuper deux sièges : un pour ma personne et l’autre pour les trois sacs qui m’accompagnent toujours. J’ai dû être un mulet dans une autre vie, car c’est plus fort que moi : dès que je prends la route, je m’encombre d’une cargaison volumineuse qui serait adéquate pour une excursion d’au moins 12 jours.

Un fou rire me parvient du fond du bus. Un éclat qui provient d’une jeune femme. Elle termine une conversation téléphonique dans cet élan joyeux.

Elle doit avoir 18 ou 20 ans. Son visage est ouvert et délicat. Elle porte un long manteau qui enveloppe un gabarit rond. Très rond. En fait, si la rectitude le permettait, nous pourrions dire qu’elle est immense.

Elle regarde maintenant droit devant elle avec, pour souvenir de son rire, un sourire lumineux. Comme nous abordons l’arrêt devant un collège, elle voit monter un adolescent qu’elle reconnaît et ne peut réprimer un cri de joie : «Mon cousin préféré!»

Nous sursautons tous devant cet éclat alors que l’ado, lui, est tétanisé et semble sur le point de défaillir devant toute cette attention qui soudainement le submerge.

Il enfonce la tête dans ses épaules, faute de pouvoir l’enfouir entre deux bancs, et envoie timidement la main à sa cousine exubérante. Il n’en faut pas plus pour que celle-ci se lève et fonce vers l’objet de son affection. Elle s’assoit à ses côtés et le serre dans ses bras. «Comment tu vas!? T’es ben beau dans ton uniforme!» Il devient rouge comme sa tuque du Canadien. Il murmure sans la regarder un «merci» aucunement sincère.

La cousine sent alors que celui avec qui elle a tant joué aux devinettes et fait dorer des marshmallows sans les brûler au chalet familial la trouve spectaculairement collante. Alors elle détache son étreinte. Un long silence honteux prend place entre eux. Il regarde le sol. Elle y pose les pieds pour se lever. Prétextant son arrêt, elle descend rapidement. 

L’adolescent l’observe s’éloigner. Elle a l’air d’un bateau qui dérive sur le trottoir. Il reste un long moment immobile, empêtré dans sa maladresse et une forme de tristesse. On dirait qu’il coule au fond de ses souvenirs, se rappelant que c’est elle, il n’y a pas si longtemps, qui lui avait appris à nager.

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