Hors du commun: Pas un mot

Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.

Ligne orange, direction Côte-Vertu. Nous sommes vendredi, il est 11 h 50.

Davantage que côte à côte, nous sommes plutôt presque les uns par-dessus les autres… Le wagon est bondé au point où les portes ne parviennent pas à se refermer sur le dense troupeau que nous formons.

À quelques corps derrière moi se trouvent un homme et une femme. Je peux voir leur reflet dans la vitre, entre deux têtes et quelques épaules. Ils se tiennent de part et d’autre du poteau.

Lui, qui parle fort et qui est assez grand, dépasse son interlocutrice d’un bon huit pouces. Elle, qui est petite et menue, lève le menton pour assimiler correctement l’averse de paroles.

Je ne sais pas si elle est plutôt auditive ou visuelle. Les deux peut-être, car elle le regarde intensément, lui souriant et l’écoutant religieusement.
Messieurs, je vous interpelle amicalement, car cette scène est pour vous.

Oui. Pour vous qui prétendez parfois que les femmes parlent trop et qui ajoutez qu’un homme intéressé est prêt à écouter, ou à tout le moins, prêt à feindre d’écouter les propos les plus banals. Cela afin de parvenir à ses fins.

La scène ici décrite pourra servir d’exemple afin de vous signifier que, à nous aussi, les prétendument femmes pipelettes, il nous arrive de faire exactement la même chose.

Et il y a fort à parier que c’est ce que cette jolie dame s’efforçait de faire ce midi-là. Quatre stations ont défilé.Pas un seul mot elle n’a placé.

Alors que l’homme, lui, pendant ce temps, semblait être inspiré par un nouveau sujet à chaque quai abordé. Nous sommes passés de sa garde partagée au nouveau moteur de sa chaloupe, en transitant par son intolérance au gluten et à sa fascination pour l’Italie, qui est «… le plus beau pays du monde. C’est là qu’on mange le mieux. Les gens sont civilisés…» etc., etc.

J’écoute discrètement et me dis que la dame aux oreilles généreuses, dépositaires de tous ces propos, doit trouver très, très cute cet homme grand, effectivement très bien mis, qui raconte sa vie dans un souffle, sans point ni virgule pour respirer.

Avant de terminer, je dois rectifier le tir : ce n’est pas vrai. Elle aura parlé, cette femme à la grande écoute. Elle aura pris la parole pour articuler précisément trois mots, qu’elle aura réussi à faufiler entre deux syllabes prononcées par l’intense émetteur:

«Je descends ici.

– Ah oui… Déjà… OK… Je t’appelle», a répliqué le verbo-moteur… de chaloupe.

C’est ce qu’on lui souhaite de tout cœur.

Ou pas.

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