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Le charme de la petite liqueur

Mes hommages. J’ai envie, cette semaine, de vous parler d’amour. De respect pis de respiration, aussi.

Parce qu’on l’oublie parfois, cette formidable expérience qu’est celle de prendre un temps, un tout petit temps, pour s’emplir les alvéoles et laisser le CO2 sortir dans une puissante et sonore expiration. De longues secondes où on se vidange et où, tiens, il est même possible de réfléchir. De méditer. De prendre un train. Le sujet n’est certes pas nouveau. Mais c’est que j’ai cette vague impression que ce qui s’expire, de ce temps-là, c’est des cuillerées de soupane crachées sur l’écran d’ordinateur et son clavier. Beaucoup de soupane. Et peu de gaz. Les vertus du gaz expulsé sont pourtant innombrables. Documentées. Et peuvent même être à l’origine de moments complices et sonores entre collègues de cubicule.

Mais voilà. Ce petit temps, cette belle respiration d’aspirant yogi n’a hélas pas la même cote que le tir au poignet.

Le départ de ma collègue et amie Judith Lussier comme chroniqueuse à cette adresse me bouleverse. «Ma décision de fuir le bruit des réseaux sociaux et de l’opinion aura, ironiquement, créé beaucoup de bruit», affirme-t-elle sur Facebook; c’est ce bruit dont j’ai envie de vous glisser mot. Ce bruit dont nous sommes collectivement responsables. Celui d’avant, et celui d’après, aussi. Dans une entrevue vidéo que Judith a accordée au Devoir, la toute première question qui lui est posée est la suivante : pourquoi est-ce que tu arrêtes?

Sa réponse ne peut être plus éloquente : un long silence. Le plus pertinent des silences. Celui que seul le cœur entend. Un silence qui happe la rotule, et une vision qui éclaire la cuvette. Le cerne est gras.

Je comprends le besoin de poser la question, même si, calvénusse, on la connaît, la réponse. Le besoin fourbe de se faire rassurer et de tuer la une. L’espoir d’une réplique coup de poing. D’un bacon magnifiquement exécuté au sol, majeurs pointés vers l’étoile du berger. Dans toute musicographie qui se respecte, rien ne vaut une belle descente aux enfers pour attendrir Carole : «Ben voyons donc! Cette jeune femme n’était-elle pas une Amazone? Un beam? Un phare qui n’a pas de problème à se faire écailler la peinture à grands coups d’eau frette et de petits couteaux?»
Non, Carole. Cette brillante jeune femme est, avant toute chose, un être humain.

Et je connais peu d’humains qui résistent aussi longtemps au jet incessant de bile de parfaits inconnus, bien sûr, mais de collègues, aussi. De microagressions d’alliés qui se transforment en bourreaux.

«Oui, mais on sait déjà toute ça», me direz-vous. On le sait, certain. J’aimerais maintenant qu’en plus de le savoir et de rétorquer aux quatre vents qu’on le sait, on ait l’audace de prendre un petit temps pour regarder le fond de la bolle, mettre ses gants et sortir la brosse. En silence.
Une pause. Une respiration. Une belle grand’ marche. Poussez même la frivolité jusqu’à vous payer UNE PETITE LIQUEUR DOUCE.

Le charme de la petite liqueur est d’un faste fou, vous verrez.

La bise.

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