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Au cœur de l’itinérance autochtone

Photo: Mario Beauregard/Métro

Alors que le deuxième dénombrement des personnes en situation d’itinérance a lieu mardi à Montréal, Métro s’est intéressé à plusieurs facettes de ce phénomène. Voici le deuxième volet de cette série, qui porte sur l’itinérance autochtone.

«Ma crainte, c’est d’en découvrir un… mort!» affirme avec dégoût et crainte Pamela, une petite dame autochtone chargée des interventions de la patrouille de rue Ka’washse du Centre d’amitié autochtone de Mont­réal (CAAM). En compagnie du chauffeur Cédric, surnommé Sidd, et de bénévoles, elle sillonne le centre-ville de Mont­réal dans une camionnette.

Au centre-ville, des autochtones reconnaissent le véhicule du CAAM et saluent le chauffeur de la main. Après avoir garé la camionnette, les bénévoles partent distribuer des repas et des biens de première nécessité aux personnes en situation d’itinérance. Sidd demande au nouveau bénévole d’en profiter pour faire «un check-up», c’est-à-dire vérifier si la personne est encore consciente. Si elle dort, on laisse le repas près d’elle.

Sidd reprend le volant de la camionnette. «C’est souvent les mêmes personnes aux mêmes endroits qu’on retrouve», dit-il. À son arrivée de Val-d’Or, Sidd a tout de suite été surpris par le nombre d’autochtones en situation d’itinérance à Montréal. Il a été étonné que beaucoup tombent dans la consommation, qui «devient un blocage à leur réinsertion».

Pamela le comprend bien. Elle-même a dû se sortir de la rue et arrêter de boire avant de pouvoir «aider les autres». Originaire de la Baie-James, Pamela traînait un lourd passé: des abus multiples au cours de l’enfance, des parents alcooliques et un séjour difficile en pensionnat.

Venue à Montréal pour aider une amie, Pamela s’est mise à boire. «Ç’a été difficile d’arrêter, confie-t-elle. Tout le monde buvait autour de moi.» Elle se désole que beaucoup d’autochtones ne puissent pas trouver un logement ou un emploi à cause de leur casier judiciaire ou de la discrimination. «Des propriétaires refusent le logement aux Inuits tout simplement parce qu’ils ne les aiment pas», dit-elle.

«La communauté perd quelques autochtones chaque année. Chaque fois, c’est un choc.» – Cédric «Sidd», chauffeur du CAAM

Une sortie
L’avenue évidente devient ainsi la rue, à moins de se retrouver à Projets autochtones du Québec (PAQ), un lieu d’hébergement pour les différentes communautés autochtones, non loin du CAAM. Ceux qui s’y présentent peuvent être hébergés dans un refuge ou avoir accès à une des chambres de transition.

Métro y a rencontré Ronnie, un jeune autochtone de 29 ans, lors d’un dîner communautaire. Il est parti de la réserve de Listuguj, près du Nouveau-Brunswick, où il n’a pas eu la vie facile.

«Les autres jeunes étaient toujours sur mon dos, raconte Ronnie, qui dort au refuge du PAQ. Ils me filmaient en m’agressant. Je n’en pouvais plus. J’ai alors voulu mettre fin à mes jours… Et mon frère m’a sauvé la vie en m’amenant avec lui à Montréal.»

«[Avant], j’avais peur de la ville, ajoute-t-il. Je pensais que c’était dangereux, dur.» Au contraire: il y a trouvé une communauté où tous s’entraident. «Les autochtones doivent réapprendre à vivre en communauté», mentionne-t-il.

«Il faut adopter un modèle d’intervention bien particulier pour les autochtones.»
Alice Lepetit, organisatrice communautaire du RAPSIM, qui fait remarquer que les autochtones préféreront rester à la rue plutôt que d’être séparés, ce qui explique leur faible fréquentation des ressources traditionnelles

À côté, Jack (nom fictif) prend part à la conversation. Lui aussi dort au refuge et il est bien au PAQ. Originaire de La Tuque, Jack n’a jamais connu son père. Lorsqu’il parle de son passé, jalonné par de nombreuses familles d’accueil, il hésite. Le silence s’installe, le malaise prend place. Métis atikamekw, Jack confie avoir eu des problèmes de consommation d’alcool.

Maintenant, il se fait un devoir de ne «pas boire ici, pour ne pas donner le mauvais exemple». Habitué aux longues promenades quotidiennes, il se dit heureux d’avoir un point de chute, «un endroit pour socialiser, prendre sa douche, avoir du bien-être».

La communauté, à la fois essentielle et douloureuse
Le sentiment d’appartenance à un groupe est important pour les autochtones, d’après Sue-Ann MacDonald, professeure à l’École de travail social de l’Université de Montréal.

«[L’itinérance autochtone] est basée sur l’interdépendance, un prolongement de ce sentiment d’appartenance, explique-t-elle. En ce sens, on doit élaborer une approche axée sur la collectivité.» De l’aide doit également être accordée en amont dans les communautés autochtones, croit Jesse Thistle, chercheur autochtone pour l’Observatoire canadien sur l’itinérance.

«Le gouvernement doit donner de l’argent aux communautés autochtones afin de construire un réseau décent d’écoles secondaires et de centres communautaires ainsi qu’un bon système de santé, insiste-t-il. Alors, les gens resteront dans leur communauté. Il faut leur donner des possibilités. Cela leur permettra de rebâtir de bonnes relations entre eux.»

Pour Sidd et Pamela, chaque autochtone doit réfléchir à la mention qui apparaît sur leur camionnette et sur le chandail du CAAM: Ka’washse («où vas-tu, où es-tu rendu»).

«Et nous devons nous débarrasser de notre ignorance, avance Sidd, qui a tous les airs d’un autochtone sans en être un. Avant de faire ce job, je ne voyais tout simplement pas les itinérants, je ne cherchais pas à les voir. Pourtant, ce sont des gens qui ont besoin d’aide!»

À lire aussi: La face cachée de l’itinérance chez les femmes

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