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La petite histoire de la cuisine de rue

Photo: Archives de Montréal

La cuisine de rue sera de retour cet été à Montréal après 65 ans d’absence. Bannie en 1947, elle a fait l’objet d’un vif débat à l’hôtel de ville. Retour sur une page de l’histoire de la métropole.

Montréal: l’endroit pour brasser des affaires
Le Service de la santé de la Ville de Montréal souhaite dès 1928 bannir les camions de restauration en raison de problèmes de salubrité. «Leur préoccupation était de bannir les marchands de frites ambulants sans toucher aux marchands de fruits et légumes», explique le chef de section des archives de la Ville de Montréal, Mario Robert. Le Service de la santé n’entreprend toutefois rien avant les années 1940 pour chasser ces restaurateurs des rues de Montréal.

Entre-temps, plusieurs villes adoptent des règlements pour interdire la cuisine de rue. Québec, Hull, Granby, Ottawa ainsi que Verdun et Westmount sont du nombre. Le premier réflexe des restaurateurs de rue est de converger vers l’endroit où ils peuvent faire des affaires: Montréal. En 1946, pas moins de 190 voitures de restauration circulent dans les rues de la métropole. Une cinquantaine sont tirées par des chevaux. Ils vendent surtout des hot-dogs et des frites aux travailleurs des usines. Parfois, ils font un saut sur la Catherine pour rejoindre Monsieur et Madame Tout-le-monde, ce qui aggrave la congestion automobile.

Des plaintes
Au cours des années 1940, plusieurs plaintes sont formulées pour dénoncer le manque d’hygiène des restaurateurs de rue. Elles proviennent entre autres de l’Association des hommes d’affaires du Nord, de la Société Saint-Vincent-de-Paul et de l’usine du quartier Saint-Henri, RCA-Victor. Les restaurateurs réagissent en formant l’Association des vendeurs de patates frites. «Pour se défendre, ils disaient qu’avec leurs hot-dogs, ils apportaient de la nourriture chaude aux travailleurs, qui seraient obligés de manger des sandwichs autrement», a expliqué Mario Robert.

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Un rapport dévastateur
Le Service de la santé publie en 1946 un rapport dévastateur pour les restaurateurs de rue. Il indique que «de tels véhicules sont exposés à tous les dangers de contamination par la poussière des rues». Les dangers sont encore plus grands pour les voitures hippomobiles, d’après le Service de la santé. «Le cheval est attelé par la même personne qui prépare les aliments dans la voiture, écrit-il. Les guides tombent souvent par terre et sont salis par le fumier dans les cours et dans les rues.»

Pour mettre fin aux camions-restaurants, le règlement municipal 926 sur les produits alimentaires et les restaurants est invoqué. En vertu de celui-ci, le Service de la santé avance que les camions de restauration sont considérés comme des restaurants, car les restaurateurs y «fabriquent, préparent et cuisent» des aliments qu’ils vendent par la suite. Le règlement oblige donc les restaurateurs de rue à se doter «de lavabos, de cabinets d’aisances, d’éviers, de drains convenables et d’eau courante». Ils doivent en outre obtenir un certificat du Service de la santé, ce que celui-ci refuse de faire à partir du 1er mai 1947.

Dans le dédale municipal
Le comité exécutif de Mont­réal approuve la position du Service de la santé, qui juge que les véhicules qui servent de la nourriture sur la rue sont exposés à des risques de contamination. L’Association des vendeurs de patates frites veulent proposer un projet de règlement pour mieux encadrer leur commerce, mais les autorités municipales refusent.

Le Service de la santé croit qu’il est impossible de «réglementer ce genre de commerce de façon satisfaisante». Il accuse, entre autres, les commerçants de conserver les condiments, et même la viande dans leur véhicule pendant la nuit. «Il faut nuancer, a dit M. Robert. Quand on veut se débarrasser de quelque chose, on utilise tous les moyens.» Le débat se transporte finalement au conseil municipal. Une motion est déposée pour permettre aux restaurateurs de rue de continuer à brasser des affaires. Elle est adoptée lors d’un vote serré par 43 voix contre 39.

Le comité exécutif est de nouveau saisi du dossier. Il décide de faire appel à la Commission sur l’hygiène, qui elle décide de créer un sous-comité. Celui-ci, qui comprend des médecins et des représentants du service des finances, étudie la question et approuve à l’unanimité les conclusions du rapport du Service de la santé publié l’année précédente. La Commission sur l’hygiène et le comité exécutif feront de même. L’arrêt de mort des restaurateurs de rue est signé. Le dossier n’est pas renvoyé au conseil municipal puisque à l’époque, le comité exécutif détient davantage de pouvoir.

Réglementation
Le règlement 926 a été rédigé en 1927, puis abrogé en 1964.

  • Par la suite. Les règlements qui l’ont remplacé par la suite ont tous conservé les dispositions sur l’obligation pour les restaurants d’être équipés de lavabos, de toilettes ainsi que d’avoir l’eau courante.
  • Aujourd’hui. Il existe à Montréal le règlement P-1, qui interdit la vente de marchandise sur le domaine public. Toutefois, ce sont les arrondissements qui réglementent l’occupation du domaine public. Ce sont donc eux qui décideront si la cuisine de rue sera permise sur leur territoire.
  • Responsabilité. Le Service de santé de Montréal a été aboli en 1972. Ses responsabilités ont été transférées au gouvernement provincial.

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