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David Foster Wallace: Homme de lettres

Photo: Métro

Écrivain américain entouré d’une aura mythique, auteur d’une œuvre riche et complexe marquée par ce pavé culte qu’est Infinite Jest, David Foster Wallace demeure une figure insaisissable. Dans Toute histoire d’amour est une histoire de fantômes, une biographie aussi fouillée que sensible, le journaliste du New Yorker D. T. Max parvient à en saisir plusieurs facettes en retraçant la vie, en décortiquant les écrits et en rendant compte du mal-être de l’auteur,  qui mena celui-ci au suicide le 12 septembre 2008.

En parlant de votre biographie de David Foster Wallace à un collègue, celui-ci s’est spontanément exclamé :«Oh! L’écrivain que tout le monde prétend avoir lu sans jamais l’avoir fait!» Pensez-vous qu’il y a une certaine vérité dans ce commentaire?
D. T. Max : Oh, oui! Du moins en ce qui a trait au lectorat anglophone, absolument. Infinite Jest, son œuvre phare, compte plus de 1000 pages. Depuis sa parution, en 1996, beaucoup de gens s’en sont procuré un exemplaire. Mais la plupart, et c’est malheureux, abandonnent autour de la page 70. Pourtant, ce livre n’est pas si compliqué! Seulement, il est… différent. Il n’est pas difficile de la façon dont, disons, les écrits de James Joyce peuvent l’être. Ce n’est pas une complexité sur le plan de la phrase. C’est, en fait, délibérément rédigé de manière à ce que le lecteur ne sache pas, pendant très, très longtemps, où il se trouve dans l’histoire. Et c’est ce qui rebute tant. Vous savez, les gens ont tendance à lire en se dirigeant vers un but. Et s’ils ne le voient pas, plusieurs laissent tomber. Cela dit, je suis très curieux de voir quelle sera la réaction dans le monde francophone puisqu’il n’y a pas eu de traduction d’Infinite Jest jusqu’à quand? L’an dernier, non? C’est quand même incroyable! Je crois que le français est la seule langue majeure dans laquelle ce roman n’a pas eu de traduction du vivant de David.

C’est encore plus étonnant quand on sait qu’il a incorporé un groupe de séparatistes québécois dans sa fiction. Savez-vous d’ailleurs pourquoi, précisément, il a exploité ce filon?
Je ne saurais dire pourquoi il a choisi de faire allusion au Québec… Je ne crois pas qu’il en ait lui-même parlé de son vivant. Il avait étudié le français et il était assez bon. Je pense qu’il aimait l’idée de le dépoussiérer! Mais honnêtement, la traduction d’Infinite Jest a dû être incroyablement complexe. Toute cette combinaison de voix, de lieux si différents…  Il y a une voix éduquée, du slang de rue de Boston dans les années 1990…

Vous racontez n’avoir jamais rencontré David Foster Wallace, si ce n’est de loin, en 1996, lors de la fête de lancement d’Infinite Jest. Avez-vous regretté, depuis lors, de ne pas l’avoir vraiment connu? Et cette biographie a-t-elle été une façon, pour vous, de le «rencontrer» enfin?
Je pense qu’il est plus facile d’écrire une biographie si on n’a jamais rencontré notre sujet. Dans le cas de David, j’ai pu m’informer auprès de beaucoup de gens qui, eux, l’ont bien connu. Ce n’était pas comme écrire une bio sur… je ne sais pas, moi, Proust ou Thomas Hardy. J’ai beaucoup aimé avoir à la fois cette distance et cette proximité.

Les lettres qu’il envoyait occupent une place prépondérante dans votre livre, que ce soit celles qu’il adressait à ses compagnons d’études, aux femmes de sa vie ou à ses amis écrivains, dont Jonathan Franzen [auteur des Corrections et de Freedom] et Don DeLillo [Cosmopolis, entre autres]. Avez-vous eu l’impression d’avoir vraiment accès à son intimité avec cette correspondance?
On ne peut jamais réellement connaître les pensées intimes de quelqu’un. C’est impossible. Que ce soit dans le cadre d’une biographie ou d’une amitié. Mais dans le cas d’un auteur, si vous pouvez lire sa correspondance, que ce soit ses lettres ou même ses courriels – mais des missives matérielles, c’est mieux –, ça devient presque comme une deuxième voix. Il y a une façon dont un écrivain s’y présente qui est unique. En tant qu’auteur, après tout, on travaille avec les mots toute la journée. Je pense d’ailleurs que s’il avait été musicien, je n’aurais pas autant puisé dans cette source.

À propos de musique, vous faites souvent allusion à ses goûts en la matière, que ce soit pour Joy Division, Springsteen, U2 ou Pink Floyd. Puis, son soudain intérêt pour le rap, sur lequel il a d’ailleurs écrit et dont «il admirait l’énergie, la créativité insouciante, quand lui-même était si tourmenté». Trouviez-vous que la sélection d’artistes qu’il écoutait en disait pas mal sur l’artiste qu’il était, lui?
Je pense que oui. Cela dit, ses goûts musicaux n’étaient pas si différents de ceux de la majorité des gens intelligents, dépressifs, qui allaient au collège à l’époque. Nous aurions eu le même âge s’il avait encore été en vie et nous avions des goûts similaires, même si les siens étaient probablement meilleurs et plus élargis. Au fait, je viens de me souvenir que j’ai eu un autre contact indirect avec lui, après la sortie d’Infinite Jest! Je travaillais alors au Harper’s Bazaar, qui est un magasine de mode, mais avec une bonne section culturelle. Et j’avais demandé à son agent si David voudrait bien écrire un article pour nous. Mais le seul sujet sur lequel il voulait écrire, c’était les Flaming Lips. Je ne sais pas si vous connaissez ce groupe? C’est intéressant qu’il ait été si captivé par cette formation à l’époque!

Vous mentionnez à quelques reprises un de ses contemporains, Bret Easton Ellis, auteur, entre autres, de Less than Zero et American Psycho, un autre écrivain culte que vous décrivez comme étant «minimaliste avec panache, blasé d’être blasé». Aujourd’hui encore, Ellis continue d’entretenir la «querelle» qui l’opposait à David Foster Wallace, critiquant son œuvre et se moquant de l’estime qu’on lui porte. Qu’en pensez-vous?
Je dirais que, au-delà de ces critiques «personnelles», Bret, que j’ai connu quelque peu au début de sa carrière, soulève quand même un point intéressant, à savoir qu’il est possible d’être trop intelligent pour être un écrivain. Ça vaut la peine d’y réfléchir. Je ne pense pas que David l’était, mais parfois, il flirtait avec la limite. Après tout, l’essence de la littérature consiste à communiquer et à présenter des histoires à un certain public. Ce qu’il avait parfois du mal à faire…Cela dit, je pense que si Bret relisait Infinite Jest, il aimerait ça. Il y a de drôles de ressemblances avec son American Psycho

Vous rappelez qu’en 2004, après une longue période où les mots ne lui venaient pas, David Foster Wallace avait déclaré être enfin «prêt à écrire». Ce à quoi vous ajoutez : «Toutefois, être prêt à écrire, ce n’est évidemment pas la même chose qu’écrire.» Avez-vous été confronté au même problème en vous attelant à la tâche? Tant de matériel : par où diable commencer?
J’étais inquiet, au départ, que son décès soit trop récent. Mais c’était un gars si secret que tout le monde voulait le démystifier. Ainsi, ceux qui l’avaient connu ont semblé se dire que s’ils me parlaient et que, au final, cela donnait une biographie, en retour, ils pourraient en apprendre sur tous les aspects de Wallace qu’ils ne connaissaient pas. Et même ses amis très proches m’ont dit après coup : “Je n’avais aucune idée de ceci, je n’avais aucune idée de cela.” Pour ce qui est de l’écriture, j’ai un style qui m’est propre. Je n’ai jamais tenté d’écrire dans celui de David ou de l’imiter. Ce n’est pas mon genre. Et puis, si je l’avais fait, les critiques m’auraient carrément descendu en flammes!

David Foster Wallace – Toute histoire d’amour est une histoire de fantômes
En librairie aux Éditions de l’Olivier

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