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Bagages: Récits croisés de migration et d’intégration

Photo: Picbois Productions

Des adolescents ayant tous récemment immigré au Québec livrent des témoignages courageux et ouverts sur le monde dans le documentaire Bagages.

Alors que son documentaire récolte les honneurs partout où il est présenté (Québec, Rouyn-Noranda, Montréal), son réalisateur, Paul Tom, revient sur sa bouleversante expérience de tournage et sur 75 heures et plus de matériel.

«Je pense qu’être québécois, psychologiquement, c’est beaucoup le fait d’accepter tout le monde.» Ça, ce sont les propos généreux d’un ado colombien récemment arrivé à Montréal lorsqu’on l’interroge sur ses impressions à propos de sa terre d’accueil. Le documentaire Bagages suit son parcours et celui de ses camarades de classe iraniens, chinois, moldaves, syriens, sud-coréens, etc., tous inscrits dans des classes d’accueil à l’école secondaire Paul-Gérin-Lajoie-d’Outremont.

Le cinéaste Paul Tom accompagne la professeure d’art dramatique Mélissa Lefebvre (qui signe aussi la coscénarisation du film) et ses élèves le temps d’une année scolaire, alors qu’ils participent à des ateliers ludiques pour prendre le pouls de leur nouvel environnement et montent une pièce pour les étudiants du secteur régulier sur «c’est quoi, être un adolescent immigrant au Québec». Tom, qui a suivi ces jeunes d’une sagesse désarmante d’octobre 2015 à mai 2016, nous en dit davantage sur une année qu’il qualifie «d’exceptionnelle, de celles qui marquent une vie».

Vous affirmez que ces jeunes incarnent les mots courage et volonté. De quelle façon?
Ils subissent les décisions de leurs parents. Ils n’ont pas le choix, en raison de leur âge et de leur situation, de s’adapter. Il serait très facile pour eux d’abandonner, mais il y a chez eux une motivation intrinsèque à vouloir faire partie du monde qui les entoure. On oublie souvent dans le film que, quatre mois plus tôt, ces jeunes ne parlaient pas le français. Donc, c’est merveilleux de les voir grandir aussi rapidement. En étant en groupe et en partageant leur parcours migratoire, ils ont compris que ça pouvait être une force, que ça pouvait briser des murs qui les séparent des gens nés ici.

Au départ, vous deviez transformer la pièce en théâtre filmé pour faire circuler l’œuvre dans les écoles de la commission scolaire. Au final, ce sont plutôt les entrevues réalisées avec quelque 25 jeunes qui servent de colonne vertébrale au documentaire. Ce choix s’est-il rapidement imposé?
Mélissa et moi nous sommes rapidement rendu compte que la pièce toute seule n’était peut-être pas la meilleure façon de rendre justice aux histoires de ces jeunes. C’est d’ailleurs vraiment grâce à elle et à son grand cœur qu’ils ont voulu se livrer. Elle était là pour les écouter et offrir un espace pour comprendre qu’ils n’étaient pas seuls, que même s’ils avaient tous des parcours différents, ils vivaient les mêmes défis en arrivant à Montréal. C’est donc une expérience humaine magnifique que Mélissa a créée.

Avant d’arriver au Québec, vous êtes né dans un camp de réfugiés en Thaïlande de parents cambodgiens. La prise de conscience de votre identité plurielle a souvent été au cœur de votre démarche. Suivre le parcours de ces jeunes a-t-il apporté des réponses à certains de vos questionnements?
Oui, vraiment. À leur âge, j’étais encore tiraillé entre être québécois ou être cambodgien. C’est comme s’il fallait que je choisisse l’un ou l’autre. Ce que je trouve magnifique avec ces jeunes, c’est qu’ils se rendent compte qu’ils n’ont pas besoin de choisir. Ils revendiquent deux identités, parfois même trois. Ils reconnaissent déjà sans le savoir que l’identité est en mouvement, que ce n’est pas un concept figé. Moi, ça m’a pris du temps avant de le comprendre. J’aime l’idée d’un Québec où ma fille grandira non plus sous le regard et avec la question de «tu viens d’où?» mais plutôt de «où est-ce qu’on s’en va, ensemble?».

Des barrières à surmonter

Notre journaliste a lui aussi rencontré 13 des adolescents du documentaire Bagages dans le cadre d’une étude anthropologique l’an dernier. Il a constaté qu’ils déploient tous les moyens imaginables pour surmonter le sentiment d’impuissance qui les habite à leur arrivée.

À la base, Bagages nous rappelle qu’une société accueillant des gens venus d’ailleurs a autant à apprendre d’eux que le contraire, non seulement grâce à ce qu’ils ont laissé derrière eux mais surtout par la force de caractère et l’ouverture sur le monde dont ils font preuve. Il y a notamment ce moment, tôt dans le film, où Mélissa Lefebvre, l’instigatrice de ce projet théâtral, présente un nouvel élève au groupe. Ne comprenant ni le français ni l’anglais, il se fait tout traduire en russe par son voisin. Cette impuissance quand vient le temps de s’exprimer, plusieurs la décrivent comme une véritable prison, «comme s’ils [avaient] fermé ta bouche, et tu veux mourir», se souvient l’un d’eux.

Pourtant, les efforts déployés par ces jeunes pour surmonter ces barrières linguistiques et culturelles sont de l’ordre du spectaculaire. L’an dernier, j’ai rencontré 13 des jeunes participants de Bagages dans le cadre d’une étude anthropologique dont le but était d’évaluer si les médias sociaux et autres outils numériques aidaient ces adolescents nouvellement arrivés au pays à s’adapter à leur nouvelle réalité, à tisser plus rapidement des liens avec leurs nouveaux camarades de classe. Dans la plupart des cas, j’ai constaté qu’ils étaient extrêmement dynamiques dans l’utilisation de ces plateformes. Un jeune m’a expliqué que sur Facebook, il jasait avec ses amis «en utilisant le Bescherelle», tandis qu’un autre ne jurait que par Google Translate, puisqu’en ayant le temps et la technologie pour mieux traduire le fond de sa pensée, l’idée de s’exprimer le rendait déjà moins anxieux.

À cheval entre blogueurs russes et Patrice L’Écuyer
Au-delà des médias sociaux, des plateformes VKontakte, Telegram et autres KakaoTalk dont ces jeunes à cheval sur deux cultures m’ont parlé, nous avons aussi discuté de ce qui les passionne. On m’a appris plein de choses sur certaines vedettes d’outre-mer: des influenceurs russes sur Instagram, des métalleux underground proscrits par le régime iranien et des groupes de taekwondo s’entraînant sur fond de K-pop. Mais ils m’en ont également appris sur certains pans de la culture d’ici. Plusieurs m’ont parlé de l’émission Les Parent, d’Infoman et même de Silence, on joue!, qu’un jeune a citée comme son «émission préférée». Toutes mes excuses aux fans de Patrice L’Écuyer qui m’ont lu jusqu’ici, mais ce jeune a dû m’éclairer sur ce rendez-vous télévisuel quotidien. «Animé par M. L’Écuyer, c’est un jeu sur les gens vraiment célèbres dans la société québécoise, a-t-il précisé. Ça m’aide à comprendre de quoi rient les gens ici, au juste. Ça m’aide à faire rire les Québécois.»

Lefebvre, qui a eu l’idée de lancer ce projet fédérateur après avoir constaté «que les élèves des classes d’accueil et ceux du régulier ne se parlaient presque pas», m’a expliqué que l’école Paul-Gérin-Lajoie-d’Outremont est parmi celles qui reçoivent le plus de jeunes venus de l’étranger. Son rôle dans cet engrenage institutionnel parfois intimidant pour les principaux concernés? Leur offrir un espace pour raconter leurs histoires. «J’ai l’impression qu’ils sentent qu’ils ont une place, qu’on leur fait de la place, a-t-elle reconnu. Et quand on sent ça, on a envie de s’ouvrir plus, de s’intéresser à ce qui se passe ici.»

Retenir l’attention autrement
Le tournage du documentaire s’est déroulé sur fond de grave crise migratoire internationale et d’une campagne présidentielle américaine nourrie par la peur et l’incompréhension de l’autre, de ce besoin de faire porter le blâme à un groupe d’individus pour toutes les plaies qu’une société n’arrive pas à panser. Les étudiants avec lesquels j’ai discuté en étaient tous conscients, d’une façon ou d’une autre, mais ils voyaient justement dans le partage de leurs parcours migratoire un moyen d’échanger et de créer des ponts avec leur terre d’accueil. Ils affichaient ce même optimisme inébranlable et cette maturité déconcertante que Paul Tom capte avec brio dans Bagages et qui m’a donné le goût de les croire sur parole.

Souvent, ce qui fait basculer l’opinion publique en temps de crise, ce sont des images d’une horreur insoutenable. Je pense à celle d’Omran Daqneesh, cet enfant au visage ensanglanté, assis dans une ambulance à la suite d’un raid aérien, devenu un symbole de la détresse syrienne en août 2016. Mais pourquoi seules les images d’une effarante tristesse semblent retenir notre attention? L’impact des témoignages que livrent les jeunes dans Bagages dépasse largement celui d’une photo dévastatrice. Au lieu de faire appel à la pitié d’un peuple, il est plutôt ici question de l’inspirer à ouvrir plus grand ses bras. Nous n’avons heureusement pas tous connu les séquelles de la guerre, du déracinement, de la pauvreté ou de la répression politique. Mais nous avons tous déjà été adolescents, confrontés un jour ou l’autre à une période d’affirmation de soi qui n’a rien de bien évident. Ce qu’on ressent pour ces jeunes, qui doivent bûcher davantage pour s’adapter à leur nouvel environnement, c’est loin d’être de la pitié, mais plutôt de l’empathie, de l’amitié, du respect et de la fierté.

De vendredi à dimanche à la Cinémathèque québécoise et lundi à Télé-Québec

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