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Pour vivre ici: Bernard Émond poursuit son œuvre utile

Elise Guilbault Photo:

Film d’ouverture des Rendez-vous Québec Cinéma, Pour vivre ici permet à Bernard Émond de poursuivre son œuvre utile et humaine sur la nécessité de se rattacher au monde.

La perte et la transmission étant deux de ses obsessions, ce n’est guère surprenant que Bernard Émond ait décidé, pour son nouveau long métrage, d’offrir une variation du chef-d’œuvre Voyage à Tokyo d’Ozu.

Après le décès de son mari, une femme (Élise Guilbault) quitte Baie-Comeau pour trouver du réconfort à Montréal auprès de ses enfants. Délaissée, elle décide de poursuivre son voyage en Ontario, dans la ville de son enfance où tout semble avoir disparu.

«J’ai le sentiment que jamais le fossé entre les générations n’a été plus grand que maintenant, affirme le cinéaste en entrevue. Jamais le problème de la transmission ne s’est posé avec autant d’urgence. Le monde dans lequel on vit est impitoyable. C’est dur de faire des liens.»

«Le sentiment d’un manque, qu’on est de plus en plus nombreux à ressentir, va faire qu’on va essayer de se reconnecter d’une façon comme d’une autre.» – Bernard Émond, cinéaste

Comme dans son classique La neuvaine, l’héritier de Kieslowski et de Rossellini traite de la mort sans faux-semblant («les générations précédentes vivent à travers nous»), à l’aide de détails évocateurs et de regards révélateurs.

«Je trouve qu’il y a un sentimentalisme dans lequel la télévision tombe beaucoup par rapport à la façon dont on exprime les choses, maintient Sophie Desmarais, qui incarne une ancienne belle-fille de l’héroïne. Quand le mari de ma grand-mère est décédé, elle n’a pas pleuré. Elle s’est mise à trembler à partir de ce jour-là et ça a duré 30 ans, jusqu’au jour où elle est décédée. Je trouve qu’un film comme celui-ci tente d’expliquer le chagrin, le deuil, d’une autre façon.»

Cette réflexion sur ce qu’on rejette, ce qu’on retient et ce qu’on accepte comme normal dans la société s’articule autour d’Élise Guilbault, qui collabore avec le metteur en scène pour une quatrième fois, après La femme qui boit, La neuvaine et La donation. Tout se joue sur son visage, et sa force tranquille ne manque pas de happer le spectateur.

«Il fallait que je modère mon cheval fougueux et que je revienne dans une espèce de patience, de finesse, de retenue, se rappelle l’actrice. Bernard cherche à éliminer tous les artifices, le maniérisme, pour trouver une sorte de simplicité, pour aller au coeur de cette personne-là. On ne peut pas imaginer la somme de travail que ça représente! Quand je tourne ses films, je ne tourne pas ailleurs en même temps.»

«Il y a quelque chose qui se passe, continue-t-elle. On est dans un état. L’idée n’est pas de démontrer une émotion, mais de la penser et de la ressentir. Si on accepte ça et qu’on finit par s’abandonner, par s’investir, on voit au fond de l’âme des personnages. Souvent, on n’a plus besoin de se parler pour se comprendre.»

Tout aussi important que son personnage est le rôle de la nature, qui vient bercer et réconforter les esprits avec ses majestueux paysages hivernaux. De quoi provoquer un incessant combat entre l’ombre et la lumière, symbole par excellence du long métrage.

Une grande beauté, tangible, ne peut qu’en ressortir. «Ça reste un film lumineux parce que, malgré tout, on arrive à transmettre; c’est encore possible de créer des liens, affirme le réalisateur. Dans le cas de Pour vivre ici, il fallait que je travaille sur l’espérance. Et Dieu sait que je ne suis pas optimiste! J’ai le désir de penser que les choses vont continuer… Je dois dire que c’est un film qui m’a rendu heureux.»

L’essence incarnée
Réputé pour être un cinéaste assez littéraire, Bernard Émond a conservé dans Pour vivre ici une narration descriptive, dont le modèle n’est rien d’autre que le colossal Val Abraham de Manoel De Oliveira. Il a toutefois tempéré les mots pour laisser ses images triompher. «C’est le cinéma qui a gagné, admet en souriant le réalisateur. On a réussi à faire dans ce film-là ce que le cinéma arrive à faire quand on fait vraiment du cinéma. Une femme qui marche, qui arpente un cimetière, qui regarde du traversier. Ç’a été possible parce qu’Élise (Guilbault) était profondément dans le personnage, en raison de la proximité qu’on a. Pour ne pas jouer comme elle ne joue pas, ça prend 30 ans de métier. Il y a quelque chose de l’ordre de l’être. C’est pour quelque chose comme ça que je fais du cinéma.»

À l’affiche
Pour vivre ici est présenté aux RVQC mercredi et prend l’affiche vendredi prochain.

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