Thérapie par la confrontation: fermer Mélaric, une bonne nouvelle pour les dépendants!

Photo: Milton Fernandes

Par Mathieu Thériault, camelot De l’Épée/Bernard

Pour guérir de votre maladie, vous deviez subir des contraintes physiques et des humiliations publiques. On vous criait après, vous insultait devant des dizaines de personnes. On vous poussait au bout de ce que vous étiez capable de supporter émotivement. Vous balayiez le sol à même vos mains trois fois par jour. Votre «maladie»? La dépendance. Et ces «traitements» ont longtemps été donnés chez Mélaric.

Beaucoup d’émotion a entouré la récente fermeture du centre de thérapie Mélaric, après 32 ans d’existence. Avec raison, bien des gens ont été outrés que le gouvernement Couillard renvoie à la rue ou en prison les plus vulnérables de la société. Sauf que cette énième attaque contre les plus démunis me réjouit (oui, oui) uniquement en ce qu’elle permet la fermeture d’un centre indéfendable, qui utilisait des méthodes considérées par tous les acteurs concernés comme une abomination.

La Maison Mélaric est à ce jour perçue comme le pionnier des établissements québécois utilisant la thérapie dite de confrontation. Une approche qui n’a absolument aucune base scientifique dans le traitement des dépendances et qui s’inspire en fait de ce que la religion et l’armée ont de pire à offrir.

Il s’agissait en gros d’accueillir la personne dépourvue et vulnérable, souvent envoyée là sur ordre de la cour, par la pression de ses proches ou le besoin d’avoir un peu d’aide, et de la déconstruire jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien. Le peu d’estime ou de confiance que la personne pouvait encore avoir, sa personnalité, ce qui fait son unicité, il fallait l’écraser, le détruire pour en extraire tout le «méchant» (drogue, alcool, jeu ou autres dépendances) et reconstruire sur les cendres une nouvelle personne abstinente, sage et repentante.

Pour ce faire, la Maison Mélaric utilisait un système de «conséquences» contre ses usagers lorsque les animateurs – en général d’anciens toxicomanes n’ayant aucune scolarité ou expérience – trouvaient que ces derniers avaient de «mauvais comportements». Sébastien Poliquin est passé par la Maison Mélaric, à ses débuts, en 1989: «Trois fois par jour, on faisait le ménage de la poussière par terre à mains nues, sans balai. Il fallait «tighter» notre lit comme dans l’armée, avec les angles à 45̊ jusqu’à ce qu’un dix cents puisse rebondir dessus. S’ils trouvaient que tu étais immature, ils te mettaient dans une bassinette pleine de toutous avec une couche devant tout le monde. S’ils te prenaient à ramasser un mégot par terre, ils te déguisaient en robineux et t’empêchaient de fumer pendant trois jours. D’autres devaient se promener avec un miroir pendu au visage pendant des heures pour qu’ils comprennent qu’ils étaient égocentriques.»

Cela sans compter d’interminables corvées de ménage, d’épluchage de patates ou autres punitions en vogue dans les prisons militaires. Sébastien se souvient: «Une nuit, à 3 h du matin, parce qu’ils trouvaient que ça n’allait pas dans la maison, les animateurs ont viré la cuisine à l’envers et nous ont réveillés pour tout ramasser.» Pour bien des résidents, le choix était justement entre la prison et la thérapie. Car il faut savoir qu’un centre comme Mélaric accueillait une importante clientèle carcérale. À savoir des gens envoyés sur ordre de la cour ou sinon dans l’espoir d’obtenir une sentence réduite. Il n’est pas très difficile de comprendre que quand un «retour en d’dans» vous pend toujours au bout du nez, vous ne vous sentez pas forcément à l’aise de critiquer les méthodes d’intervention du centre qui vous héberge.

Nicole Gravel a été intervenante près de 30 ans dans des maisons de thérapie. Elle affirme que «tout le monde était au courant» des méthodes employées à la Maison Mélaric, mais ne se souvient pourtant que d’un seul exemple où une intervention par la confrontation semblait avoir donné des résultats. «Quand c’est mal fait, et c’est le cas la plupart du temps, l’intervention provoque des résultats pires que le problème qu’on voulait traiter. On confronte la personne pour une possible erreur, on la juge, on l’humilie, on la pousse dans ses limites», nous dit-elle. Et c’est souvent là que ça casse. On a une personne aux prises avec des problèmes de dépendance et une estime de soi complètement démolie, qui souvent se méprise elle-même. Et là, sous la vindicte des animateurs et de la «communauté thérapeutique», on l’humilie, la juge et l’engueule en public. C’est pourquoi la thérapie par la confrontation ne dépasse rarement la première partie de son a priori: «Bien des gens ont été détruits, mais ils n’ont jamais été reconstruits » de dire Nicole Gravel. Sébastien Poliquin, pour y avoir séjourné, l’exprime ainsi: «Ils te cassent, mais ils ne te remontent pas!»

Les origines de la thérapie par la confrontation
Sans grande surprise, la philosophie de la thérapie par la confrontation (souvent appelée tough-love en anglais) nous vient des États-Unis. Elle s’inspire des principes religieux et républicains selon lesquels seuls l’abstinence et le travail pénible sont gages d’une bonne vie. Les consommateurs et les dépendants ne seraient donc que des hédonistes sans âme, qui ne vivent que pour le plaisir et la jouissance et qui doivent apprendre le sens de la peine et de la douleur.

Les premières thérapies par la confrontation furent donc introduites par The Church of Synanon dans les années 1960. Le programme visait à réhabiliter les dépendants par des passages à tabac, des simulations de viols, de faux kidnappings, des séances d’humiliations publiques et ainsi de suite. Il s’agissait souvent de jeunes issus de familles particulièrement conservatrices, qui avaient fumé un peu de pot ou avaient fréquenté des gais ou des noirs. Une jeune femme témoignait ainsi que des 39 centres où elle avait été envoyée, il n’y en avait que deux où elle n’avait pas été agressée! De nombreux autres disaient avoir souffert d’un syndrome post-traumatique.

Quand cette église fut enfin fermée suite aux multiples plaintes, aux malversations comptables et aux poursuites criminelles, un programme similaire prit le relais. Initié par Nancy Reagan et George H.W. Bush, Straight Incorporated se basait également sur la thérapie par la confrontation et la soi-disant «communauté thérapeutique» par l’humiliation et la confrontation publique. En 2002, le magazine Forbes estimait cette industrie du tough-love sur les jeunes à 2G$ par année. Et on en a même fait un show de télé-réalité (Trouble Teens) où ces jeunes sont violentés et humiliés devant les caméras.

Comme une grande partie de la population québécoise, j’estime qu’il est tout à fait inacceptable que les Libéraux fassent des économies de bout de chandelle sur le dos des plus fragiles parmi les plus démunis, à savoir les résidents des maisons de thérapie souffrant de dépendances. Selon Nicole Gravel, rares sont les centres qui pratiquent encore la thérapie par la confrontation.

Par ailleurs ne nous apparaît pas très surprenant de constater que la directrice générale et présidente du conseil d’administration de Mélaric, Lise Bourgeault, a été députée conservatrice sous Mulroney entre 1984 et 1993 et qu’elle fut approchée pour une candidature par le gouvernement Harper, avec lequel elle s’affichait souvent en accord sur sa page Facebook.

Par ce reportage, nous voulions essentiellement montrer que les approches sauvages et inhumaines ne sont pas toujours l’apanage des gouvernements. Elles viennent parfois des endroits (comme Mélaric) dont on n’attendrait que du bien.

Avoir été drogué n’est pas une qualification!
Un des problèmes des centres de thérapie comme Mélaric, mais comme bien d’autres aussi, c’est que pour couper dans les frais, ils engageaient souvent d’anciens résidents dont la seule qualification était d’être eux-mêmes des anciens dépendants qui avaient fréquenté le centre et qui y demeuraient depuis. Sauf que le fait d’avoir subi une amputation, si cela peut vous rendre empathique et compréhensible envers les autres amputés, ça ne fait pas de vous un bon chirurgien. Sébastien Poliquin se souvient: «À Mélaric, tout le monde savait que l’intervenant qui donnait la première étape avait une relation avec le directeur de la place. Souvent on le voyait arriver le matin avec le char du boss, complètement allumé. Tsé, se faire donner un atelier sur l’abstinence par un «chouchou» qui de toute évidence a fait le party toute la nuit, c’est assez ordinaire.»

Nicole Gravel, intervenante en toxicomanie pendant plus de 30 ans, confirme. «Cette pratique s’est faite et se fait toujours dans de nombreuses maisons. Des gens qui n’ont pratiquement pas de formations, qui n’ont même pas cinq ans d’abstinence s’improvisent thérapeutes. Il y a un processus de certification des centres auprès du ministère de la Santé et des Services sociaux de nos jours qui exige un bac ou au moins un certificat de la part des thérapeutes. Mais comme on dit, il y a l’esprit de la loi et l’application de la loi…»

IT-06_2016-03-15_COVERCe texte figure dans l’édition de L’Itinéraire.

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