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L’ironie du fort

Photo: Yves Provencher/Archives Métro

Plusieurs ont remarqué l’ironie: Richard «Je suis Charlie» Martineau, grand défenseur de la liberté d’expression, s’en prend à un média indépendant dont il n’a pas aimé une des chroniques, une fausse notice nécrologique dont les qualités ne seront pas discutées ici. Entendons-nous : cette poursuite de 350 000 $ vise à faire taire le chroniqueur et pourrait même parvenir à fermer le média indépendant Ricochet, qui en a diffusé les propos.

Dans cet écosystème médiatique si fragile, où la multiplicité des voix est si importante, il semblerait que l’ego d’un chroniqueur vaille davantage que la survie d’un organe de presse qui dérange à l’occasion. Et pour cause: Richard Martineau est parmi les chroniqueurs les plus médiatisés du Québec, selon une recension menée par Influence Communication en 2012. À l’époque, Claude Poirier menait le bal, Martineau arrivant en deuxième position. On peut donc supposer qu’aujourd’hui, avec sa chronique dans le Journal de Montréal, sa collaboration à LCN, son émission à CHOI Radio X, celle à Télé-Québec, et les quelques plumes perdues depuis par le négociateur, l’irréductible franc-tireur occupe le haut du pavé. Avec une telle portée médiatique, Martineau est en bien meilleure position pour nuire à sa propre réputation que Ricochet, qui compte un peu plus de 8000 fans sur Facebook.

Cette manie des plus puissants de se sentir persécutés à la moindre incartade est fascinante. Cette semaine, Guy Nantel faisait la promotion de son spectacle accompagné de figurants représentant les groupes religieux, les Noirs, les Femen et les personnes handicapées afin d’annoncer qu’il allait rire de tout ce monde-là, et en prenant soin de se positionner en victime de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). S’il est vrai que la poursuite de Mike Ward par la CDPDJ soulevait des questionnements sur l’importance qu’on accorde collectivement à la liberté d’expression, il n’en demeure pas moins que ces débats opposent rarement des interlocuteurs à portée équivalente. Les personnes identifiées par Guy Nantel comme du matériel humoristique sont loin de disposer des mêmes tribunes que lui. On peut bien sûr rire d’elles, et elles ont bien sûr le droit de répondre, exerçant à leur tour leur liberté d’expression.

Les conséquences des paroles de chacun sont toutefois différentes. Alors que des personnalités médiatiques avec de gros haut-parleurs peuvent influencer allègrement l’opinion publique au sujet des femmes, des communautés religieuses, des personnes handicapées, des minorités culturelles et sexuelles, des voix indépendantes tentent de faire contrepoids avec les moyens limités dont elles disposent. Et quand elles parviennent à se faire entendre, elles égratignent parfois les petites peaux sensibles de ces personnalités habituées à la ouate dans laquelle leur discours évolue normalement. Il y a une citation qui circule dans les cercles militants pour expliquer en partie ce phénomène: «Quand on est habitué aux privilèges, l’égalité est ressentie comme une oppression.» Parce que se faire critiquer, c’est vrai que c’est dur.

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