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L’autodérision

Sur le coup, je n’y ai vu aucun problème. Je m’intéresse depuis longtemps aux droits des personnes trans, je connais certainement plus de personnes trans que la moyenne des ours, je consacre mon mémoire de maîtrise à un sujet qui concerne les femmes trans, et, pour tout dire, j’aime bien me considérer comme une alliée de la cause. Or, quand j’ai vu la publicité de Via Capitale dans laquelle Léon de Robin et Stella chante: «Ta famille vit de grands changements, on pense au déménagement, depuis que ton papa est devenu une maman», j’y ai presque vu une façon audacieuse d’aborder les réalités trans.

Puis, des personnes trans m’ont amenée à réaliser qu’il s’agissait en fait de la triste exploitation d’une réalité que vivent trop de personnes trans. Que les déménagements qui surviennent lors d’une transition de genre ne sont pas exactement associés à des moments heureux. Elles m’ont rappelé que, dans bien des cas, les personnes trans doivent fuir un milieu devenu hostile, vendre leur maison en raison de difficultés financières ou quitter leur foyer à cause d’une séparation.

Via Capitale a présenté ses excuses, ce qui est tout à son honneur. Michelle Blanc est parmi les personnes qui se sont prononcées contre cette publicité, non sans en payer le prix. Dans la pluie d’insultes et de commentaires haineux qui s’est abattue sur elle, on trouve un reproche récurrent, celui de manquer d’autodérision. Certains ont même fait remarquer que d’autres déclinaisons de la publicité renvoyaient à des situations malheureuses, comme l’adultère, sans que les cocus ne s’en offusquent. Comme si les cocus souffraient d’une stigmatisation équivalente à celle des personnes trans.

Étymologiquement, l’«auto», d’«autodérision», renvoie à «soi-même». Or, ne devrait-il pas relever de soi-même de déterminer ce qu’on juge, soi-même, digne de dérision? Qui sommes-nous pour décider qu’une publicité n’a rien d’offensant pour les personnes qui en font les frais? J’ai beau avoir une sensibilité particulière aux enjeux trans, je ne suis pas trans. Ces enjeux, je ne les vis pas. La discrimination dont ces personnes sont victimes, je ne peux que la constater, pas la vivre. L’empathie la plus sincère ne me donne en aucun cas l’autorisation de décider si une blague sur les personnes trans est drôle ou non. Les enjoindre à l’autodérision relève du pur paternalisme.

Peut-être que les personnes trans entendraient plus à rire si cette publicité ne survenait pas à un moment où elles continuent d’être une cible privilégiée de stigmatisation, de discrimination, de violence verbale et physique, et qu’elles ne gonflaient pas – sans surprise dans un tel contexte -– les statistiques de suicide. Peut-être que les personnes trans seraient plus enclines à se dilater la rate si elles avaient fait l’objet de publicités positives, ce qui n’est pas encore arrivé au Québec. Peut-être aussi y aura-t-il plus de place pour l’autodérision lorsque le point de vue des personnes trans sera impliqué dans le processus de dérision des personnes trans.

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