Les droits de scolarité, la réalité, les priorités

Photo: Paul Chiasson / La Presse canadienne

Le débat sur les droits de scolarité a pris une tournure irrationnelle. On a perdu le sens des proportions, et oublié la donnée de base: le principe à défendre, c’est l’accessibilité aux études, pas le gel. Malheureusement, l’équation « droits peu élevés = université accessible » a été érigée en dogme, même si elle est fausse.

Les frais de scolarité au Québec sont les plus bas au Canada (ils le seront encore après la hausse). Le taux de diplômation universitaire demeure tout de même plus bas que dans la moitié des provinces. Et les enfants issus des milieux les plus aisés et plus scolariés demeurent plus susceptibles d’accéder eux-mêmes aux études universitaires. Clairement, d’autres facteurs sont en jeu. Mieux: l’éducation secondaire est gratuite, et la moitié des élèves n’arrivent pas à obtenir leur diplôme en cinq ans, encore moins à décrocher un diplôme d’études collégial (lui aussi gratuit, à toutes fins pratiques).

La réalité plate, au final: le coût de l’éducation universitaire n’est pas l’obstacle à combattre si on veut en favoriser l’accès. Surtout que le gouvernement a proposé une série de mesures pour annuler les effets de l’augmentation des droits. En fait, les plus pauvres seront mieux servis qu’avant, et le gouvernement va faciliter le remboursement des prêts, en le modulant en fonction du revenu. Une fois leurs études complétées, les détenteurs d’un diplôme universitaire gagneront aussi un bien meilleur salaire que le reste de la population (environ 15 000 $ de plus par an, en moyenne).

Ça n’a pas empêché des artistes et d’autres personnalités de demander un moratoire sur la hausse et des états généraux sur l’éducation supérieure (je reviendrai sur l’inclusion ici de ce dernier mot). L’évocation d’un paquet de dossiers qui n’ont rien à voir avec les droits de scolarité est d’ailleurs assez révélatrice. On peut détester le gouvernement actuel, être contre le plan Nord et l’exploitation des gaz de schiste, être scandalisé de la prédilection du parti au pouvoir pour les cocktails de financement qui semblent mener à des retours d’ascenseurs douteux et remettre en question ses choix, qui sont un peu les nôtres. Mais il n’y a pas de dictature à démettre, seulement un gouvernement – élu – à remplacer: ça s’appelle des élections générales, et ça aura lieu d’ici 18 mois, maximum. On pourra tous voter pour Québec solidaire si on veut, et avoir notre printemps ou notre automne québécois.

La réalite demeure: au Québec, sauf des cas d’exception à corriger, quiconque veut aller à l’université n’en est pas empêché financièrement. Y’en a pas de problème. Une dette, ça peut paraître gros du haut de nos 20 ans, mais ça se rembourse assez facilement lorsqu’on arrête de flipper des burgers et qu’on occupe un emploi un peu plus rémunérateur, ce à quoi contribue un diplôme universitaire (j’ai suggéré ici qu’il n’y ait pas de remboursement des prêts étudiants en-dessous d’un certain seuil de revenu, entre autres mesures). Ce n’est pas une « instrumentalisation de l’éducation », c’est la réalité: tout le monde ne peut pas être comédien, musicien, auteur ou philosophe. La plupart des gens vont à au collège ou à l’université pour se donner une carrière, même si nos néo-romantiques refusent de le voir.

J’ajouterais aussi que la culture générale, la formation citoyenne, doit avoir été acquise avant les études post-secondaires. Le sous-texte de cette défense à tout crin de l’éducation universitaire, comme si elle était une fin en soi, donne un peu dans l’élite déconnectée: tout le monde devrait aller à l’université, et ceux qui n’y vont pas sont un peu des citoyens de seconde zone. J’exagère? Pourquoi – et pour qui – alors demander des états généraux sur l’éducation « supérieure »?

Dans l’ordre des priorités, ne pourrait-on pas s’occuper d’abord de notre taux de diplomation abyssal au secondaire?

***

On a entendu au cours des dernières semaines plusieurs commentateurs plaider que les études universitaires se paient d’elles-mêmes via les impôts (l’impôt sur le revenu de l’ensemble des contribuables – universitaires ou pas – constitue un peu moins de 20 % du revenu total du gouvernement du Québec, et le contribuable débourse déjà plus des trois quarts de la facture universitaire, mais passons). Certains ont évalué le coût du gel (ou de la gratuité) à « seulement » quelques centaines de millions de dollars par an. Quelle aubaine, pourquoi s’en passer? C’est avec de pareils raisonnements de bottine qu’on se retrouve avec une dette de plus de 200 milliards de dollars.

Le Québec s’est donné une tonne de services qui « se paient tout seul ». Ça fait probablement de nous la société la plus égalitaire en Amérique du Nord. Nous pouvons en être fiers.

À un moment donné, si on veut préserver la partie essentielle de ces services, il faudra tout de même trouver une façon de garder la tête froide: qu’est-ce qui est indispensable, et qu’est-ce qui peut encore attendre. Nous ne vivons pas dans un monde idéal, les finances publiques ne sont pas sans limite, et on n’est certainement pas obligé de vivre des situations semblables à celles que connaissent certains pays d’Europe avant de réagir.

Lorsque les taux d’intérêts vont monter – et ça va arriver – le service de la dette, qui occupe plus de dix pour cent des dépenses de l’État, va exploser. Dans une vingtaine d’années, le ratio de travailleurs par rapport au nombre de retraités aura diminué de moitié. Ou, si on préfère: deux fois moins de travailleurs pour payer les services du reste de la population, qui vieillit. On a d’ailleurs bien de la peine à s’occuper convenablement de nos vieux présentement. Imaginez quand il y en aura deux fois plus.

Des milliers de parents, dont plusieurs à revenus modestes, attendent toujours pour des places à bas prix en garderie. Ils n’en auront probablement pas avant que leurs enfants arrivent à l’école.

Chaque jour, des milliers d’autres Québécois redécouvrent cruellement comment il est long et difficile d’avoir accès à un médecin. Quand c’est une grippe, ça s’endure. Quand c’est votre enfant ou votre vieille mère, c’est moins drôle.

Le réseau d’éducation public est exsangue et manque de ressources pour des élèves dont les problèmes ne seront finalement diagnostiqués que lorsqu’ils auront pris un retard irrattrappable (non, la solution n’est pas de bêtement couper les subventions à l’école privée et de mettre encore plus de pression sur le réseau public).

Des centaines de familles vivent dans des taudis, à Montréal. Des pauvres et des paumés abondent sur les trottoirs du centre-ville, pendant que les refuges peinent à trouver du financement ou se le font carrément couper. Des vieux meurent seuls, dans l’indifférence et leurs souillures.

Je le redemande: n’y a-t-il pas plus urgent que d’épargner le porte-feuille de notre future élite, qui sera de toutes façons supportée financièrement le temps qu’elle fasse sa place? Et, même si on peut sûrement trouver des sous en gérant mieux les universités, n’aurait-on pas mieux à faire avec, même si ça ne représente « que quelques centaines de millions »?

Est-ce que le gel des frais de scolarité est vraiment, en 2012, une priorité?

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.