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«Les politiciens passent, mais la ville reste», selon Dinu Bumbaru, d’Héritage Montréal

Résident d’Outremont depuis 1964, le directeur des politiques d’Héritage Montréal Dinu Bumbaru fera découvrir l’histoire du quartier riverain à l’ancienne gare de triage dans le cadre d’une visite guidée. Photo: Mario Beauregard/Métro

Avec l’historien Laurent Turcot, le directeur des politiques d’Héritage Montréal, Dinu Bumbaru, a scruté le quotidien de Montréal à travers des milliers de photographies produites par les photographes de La Presse depuis 1884. Ils partagent le fruit de leur quête en 275 images qui témoignent de l’évolution du paysage de la ville.

Le livre s’appelle Promenade dans le passé de Montréal. Quelle est l’importance pour vous de la notion de promenade?
Le mot «promenade», j’y tiens beaucoup parce qu’on n’est pas dans un cheminement scientifique ou dans un rapport du gouvernement. On est dans une déambulation. On se promène dans le stock de photos.

On a essayé d’organiser les photos, mais sans trop le faire. Il y a un peu de flânage auquel on invite les gens. Sur certaines photos, on pourrait passer des heures; on voit des portraits qui nous montrent qu’il y avait une vie urbaine typiquement montréalaise jusque dans les années 1970. D’autres photos sont un peu plus documentaires, ce sont des vues aériennes des grands chantiers. On passe d’un sujet à l’autre, mais sans faire du coq à l’âne.

Qu’avez vous appris sur Montréal pendant le processus?
À travers ces photos, on voit comment il y a une croissance, une énergie constante à Montréal, mais qui se manifeste par à-coups. On voit qu’il y a eu des grandes périodes de chantiers, comme dans les années 1930. Beaucoup des quartiers qu’on considère les quartiers traditionnels de Montréal ont été bâtis dans les années 1930, avec l’extension des réseaux de tramway. On voit le changement rapide du paysage urbain, passant des champs aux triplex. On a eu ça aussi après le 2e guerre mondiale; les grands chantiers, les aéroports, les infrastructures qui se développent. Et dans les années 1970, on a vu que les grands chantiers commençaient à coûter cher en patrimoine montréalais. C’était des démolitions massives. Mais ces grandes périodes servent d’indicateurs pour comprendre les époques de patrimoine architectural.

L’autre chose, c’est l’arrivée de l’automobile. L’idée d’un transport individuel, la liberté personnelle de se déplacer, mais aussi les conséquences que ça a sur le territoire. Ça prend des autoroutes, du stationnement. On voit le stationnement qui envahit tout.

Un dernier élément, c’est de voir à quel point on avait énormément de bâti qui était l’œuvre des artisans, pas de la construction à la machine. Dans les années 1920-1930, il y avait les menuisiers, les ferronniers, les ferblantiers, les maçons… On voit comment il y a avait une présence humaine. On peut voir comment une ville se bâtit par ses artisans, par ses occupants.

En quoi le fait qu’il s’agisse de photos de presse influence le contenu du livre?
Si on prend, par exemple, les archives photographiques Notman, leur vocation était de dresser un portrait d’une société industrielle au 19e et début 20e. Quand on consulte des archives gouvernementales du Québec ou de la Ville, ce sont des photos que le gouvernement a choisi de produire.

Ici, on est dans une photographie de dialogue entre des journalistes, des événements, des lieux et la population. La valeur civique de ces photos est particulièrement intéressante.

Aussi, elles ont été prises par certains des photographes qui ont marqué la photographie au Québec. J’étais impressionné par les compositions de certaines photos, comme celle de l’incendie de la chapelle du Sacré-Coeur de la basilique Notre-Dame. La façon dont c’est composé, on croirait les photos de grands photographes qui ont documenté les dévastations de la Deuxième Guerre mondiale en Europe.

«On tombait dans le magasin de bonbons, c’était fou» – Dinu Bumbaru, directeur des politiques à Héritage Montréal, à propos du plongeon dans les archives photos de La Presse

Souvent, les nouveaux projets urbains peuvent déranger ou se faire au détriment de certaines populations ou de certaines lieux. Est-ce qu’il y a moyen de savoir si ceux-ci vont être heureux?
Il faut avoir confiance. On ne peut pas juste avancer la crainte à l’âme. Le gros problème, c’est que les gens prennent beaucoup de décisions avec très peu de temps pour regarder les choses.

Je pense que ça serait un livre intéressant pour tous les conseillers municipaux. 2017 est une année électorale, ce n’est pas juste une période d’anniversaires avec des feux d’artifices. Comment est-ce qu’on envisage les prochaines années? Quand on s’intéresse au patrimoine, on réalise qu’on peut faire des gaffes collectivement, mais on peut aussi accomplir des grandes choses. Et les grandes choses ne sont pas toujours celles qu’on croit. L’invention de la ruelle montréalaise, l’escalier montréalais; il n’y a pas un maire qui peut récupérer ça politiquement. Par contre, c’est très identitaire.

[On doit se demander] : «qu’est-ce qui va propulser Montréal?» Est-ce que c’est des gros gadgets ou est-ce que c’est un mix de choses qui font «wow» et d’autres qui sont des petits gestes au quotidien? Il faut avoir les différentes échelles. C’est le grand défi d’aujourd’hui.

Les projets qui ont peut-être été les plus réussis depuis une quinzaine d’années, ce sont des petits projets qui ont presque passé sous les écrans radars. Griffintown, c’est gigantesque, mais c’est le chaos. Ce n’est pas un modèle à suivre.

Parmi les petits projets, par exemple, il y a la Petite Floride; dans 10 ans, ça ne sera peut être pas là, mais ça aura transformé le quartier du Mile End, pour le mieux.

Il y a une sérieuse mise en garde avec les livres de photos anciennes, c’est qu’on peut se complaire là dedans. À Héritage Montréal, on se dit que le défi, ce n’est pas tant de regarder le passé, c’est de regarder vers où on s’en va et d’être éduqué pour entreprendre ce beau voyage là.

En dédicace, vous remerciez, entre autres, Melvin Charney, Phyllis Lambert, Gérard Beaudet. Vous dites qu’ils vous ont appris à bien voir Montréal. Comment ont-ils changé votre regard sur la ville?
Il y en a beaucoup là-dedans qui marchent la ville. Melvin Charney a été mon professeur. Il nous a appris à ne pas avoir honte de Montréal. Avec Phyllis Lambert, c’était l’importance de la place des citoyens dans la discussion publique.

Je suis sorti d’une école d’architecture dans un Québec qui met beaucoup de l’avant la notion d’histoire comme enjeu public avec sa devise «Je me souviens». Mais grâce à tous ces gens, je me suis rendu compte qu’on ne peut pas juste avoir une discussion sur l’histoire. Le patrimoine arrive là où trois rivières se rencontrent, un peu comme l’archipel de Montréal. Il y a d’abord la rivière du lieu, c’est à dire la géographie. Montréal existe comme elle est à cause de son site, c’est pas comme Québec avec la falaise. Puis, il y a la rivière de la société: quels sont les usages dans la ville, les rituels, les espoirs? Finalement, le temps. On a une ville qui est 4 saisons. Chaque saison, chaque heure du jour a une personnalité différente. Le temps donne de la valeur aux choses.

Si les gens réfléchissaient en ces termes-là, notamment nos décideurs publics, on verrait sans doute les choses s’améliorer.

Infos:
Promenade dans le passé de Montréal
Éditions La Presse
En librairie

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