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La revanche de Léa

La revanche des moches, de Léa Clermont-Dion, paraît chez VLB le 31 mars 2014. Photo:

Léa Clermont-Dion fait partie des 3-4 personnes dans la vingtaine que j’admire non sans une graine de jalousie. À 14 ans elle s’impliquait déjà au sein de la Fédération des femmes du Québec, à 17 ans elle déposait la pétition qui serait à l’origine de la Charte de l’image corporelle saine et diversifiée, et depuis son passage à Tout le monde en parle en 2009, la jeune femme n’a pas cessé d’aligner les projets, que ce soit une série photo au Burkina-Faso ou la réalisation d’un court-métrage même pas dans le cadre d’études en cinéma ou quoi que ce soit, rien que pour le fun. Inévitablement, l’écriture d’un essai devait se trouver sur la liste des choses à accomplir avant 25 ans de cette militante féministe hyperactive.

Quel est le moteur de Léa Clermont-Dion? En la regardant aller, on serait tentés de croire qu’elle est issue d’une élite intellectuelle, que ses parents sont docteurs et/ou notaires et qu’ils l’ont poussée à s’investir socialement alors qu’elle fréquentait le Collège Regina Assumpta. C’est presque le contraire. La petite fille de Gore a grandi dans une famille ben ordinaire. Son moteur, plutôt, c’est la maladie. Une maladie sournoise qui vous pousse à vouloir tout contrôler, à commencer par votre poids, et qui vous conduit dans la prison du regard de l’autre, du besoin d’approbation constant. Léa explique tout ça dans La revanche des moches. 

Cet essai, sorte de documentaire écrit, est le résultat d’une démarche personnelle. Se questionnant sur sa propre obsession de l’apparence et sur le culte que la société voue au corps, Léa Clermont-Dion est allée à la rencontre d’experts, sociologues, musiciens, danseurs, comédiens, designers, pour comprendre. Ces entrevues, avec Bianca Gervais, l’ex-obèse Maryse Deraîche, la femme de théâtre Pol Pelletier, ou Ariane Moffatt, rendent cet essai à la fois original et pertinent. «Je ne m’imaginais pas, à mon âge, donner mon opinion dans un essai formel», explique l’auteure. Cette humilité transparaît dans l’ouverture avec laquelle Léa aborde ses intervenants, les laisse contredire ses aprioris, se place en situation d’apprentissage. Le résultat est que l’on se retrouve devant la quête d’une personne cherchant à comprendre le mal qui l’habite. Et on embarque avec elle.

«Mais avec un titre de même, t’as pas l’impression que tu es encore en train de…»

«…chercher l’approbation en voulant que les gens me disent que je ne suis pas moche?», complète Léa, très consciente de ses paradoxes. En effet, Léa Clermont-Dion est loin d’être moche, elle se le fera dire dans toutes les entrevues qu’elle accordera au sujet de son livre. Cette contradiction entre la fille qui s’attaque depuis toujours aux critères de beauté tout en les incarnant lui a valu plusieurs critiques. Dans son dos du moins. J’en ai été témoin. Mettons quand nous sommes entre filles. Sa beauté dérange. Mais Léa se défend d’avoir cherché l’approbation avec son titre. «Le corps des mannequins représente celui de moins de 5% de la population. Ce que mon titre signifie, c’est que face à ces critères de beauté inatteignables, nous sommes tous moches», explique-t-elle.

Comme Nelly Arcan, qu’elle cite à plusieurs reprises dans son livre – notamment en référence à sa «burqa de chair», brillante expression de la défunte auteure -, Léa Clermont-Dion n’en est pas à une contradiction près. Comment se fait-il qu’une personne qui se réalise d’un point de vue intellectuel presque de façon boulimique accorde tant d’importance à l’enveloppe? Comment se peut-il que la fille qui a tout accompli avant tout le monde et qui a démontré une maturité hors norme à l’adolescence explique son anorexie par un refus de vieillir? C’est quoi, ça, une féministe qui trippe sur le maquillage?!? «Pierre Lapointe m’a décomplexée à ce sujet-là, en me faisant comprendre que depuis toujours nous sommes fascinés par la beauté. L’esthétisme apporte du bonheur. Nous sommes attirées par les belles personnes. Le maquillage, j’aime ça. Et puis je ne voulais pas non plus écrire un guide moral de la vertu», dit-elle. Ce n’en est définitivement pas un.

Bien qu’il soit inspiré d’une quête personnelle, La revanche des moches n’est pas une autobiographie non plus. «J’ai hésité longtemps avant de parler de moi dans cet essai. Je ne voulais pas montrer les côtés obscurs de ma personne. J’ai finalement lâché prise». On découvre donc des passages émouvants du journal intime de la petite Léa, 12 ans, et quelques confidences sur le narcissisme qui habite l’auteure encore aujourd’hui. Mais La revanche des moches, c’est avant tout le travail de recherche d’une première de classe qui s’est mis dans la tête de faire le tour de la question. Qui aborde la problématique de l’apparence d’un point de vu historique, social, artistique, économique : «Avec le capitalisme, on a eu les moyens de se payer une beauté, et on a créé toute une industrie lucrative. Est-ce que ça ne nous a pas asservies», demande-t-elle.

Certaines entrevues laissent place à des confidences très intimes. On apprend notamment que Geneviève Guérard a subi d’énormes pressions au secondaire pour devenir «une ligne».  Parce que Léa a mis le doigt sur un mal qui en habite plusieurs, et que depuis qu’elle est passée à Tout le monde en parle, de purs inconnus se sentent à l’aise de lui faire part de leur rapport à la beauté, au corps.

Est-ce que ça a changé le monde? «Je pense que oui. Quand nous avons fait passé la Charte, personne ne parlait de diversité corporelle ou du culte de la minceur. Récemment, on a réussi à récolter 50 000 signatures en quelques jours pour empêcher la venue des concours de Mini-Miss, les magazines font de plus en plus de place aux rondes, même si c’est encore dans le cadre de numéros spéciaux, et Saskia Thuot a récolté 30 000 likes sur un statut où elle disait être tannée d’être jugée sur son apparence!» Ça, et cet essai, pour Léa, c’est toute une revanche sur la maladie.

La revanche des moches, publié chez VLB, sort en librairies le 31 mars 2014. Illustrations : Alexandre Whitter. 

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