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La tentation de la récupération

Photo: Twitter.com/iTélé

On ne choisit pas quel con nous aime. Pas plus le Mahomet imaginé par Cabu à la une d’un Charlie Hebdo qui a semé l’émoi en 2006, que l’équipe éditoriale de cette publication aux lendemains de l’affaire des caricatures. À l’époque, Jean-Marie Le Pen et Dieudonné s’étaient portés à la défense de l’hebdomadaire satirique. Pas exactement le genre d’appui que l’on souhaite obtenir lorsqu’on tente de faire comprendre la différence entre racisme en règle et critique légitime.

Officiellement, ces appuis d’extrême-droite se faisaient au nom de la liberté d’expression. Mais le passé foncièrement raciste de ces supporters improbables révélait une raison officieuse: la récupération. Alors que Charlie Hebdo défendait la liberté d’expression, les récupérateurs, eux, surfaient sur l’intolérance de certains radicaux comme s’il s’agissait d’une preuve que la religion des autres, c’est mal.

La tentation de récupérer la tragédie survenue au siège social de Charlie Hebdo pour la mettre au service de certaines idéologies sera forte dans les prochains jours. Le processus est déjà entamé. Des militants d’une laïcité dure y verront la preuve d’une montée de l’islamisme radical. Des inclusifs, travaillant d’arrache-pied pour détourner l’attention de l’islam, seront tentés de mettre en cause les politiques d’exclusion françaises dont s’inspirait Pauline Marois au temps de la Charte des valeurs. Des chroniqueurs s’empresseront de tenir des propos injurieux pour prouver à quel point ils n’ont pas peur, eux, de se prévaloir de leur liberté d’expression. D’autres évoqueront maladroitement que Charlie Hebdo récolte les fruits d’une islamophobie décomplexée. D’obscurantistes fanatiques religieux, tant chrétiens que juifs ou musulmans en profitent déjà pour dénoncer les agissements du corrosif hebdo tandis que des partisans d’un humour franchement douteux y voient la conséquence d’un consensus médiatique depuis trop longtemps répandu.

Pourtant, c’est de solidarité dont le monde a besoin aujourd’hui pour lutter contre l’obscurantisme, la violence et l’intolérance. Et idéalement, pas que d’une solidarité de façade. Aujourd’hui, tout le monde se dit «Charlie». Plusieurs personnes ont changé leur photo de profil Facebook par une image de solidarité. «Je suis Charlie». Trop peu trop tard. Lorsque la crise des caricatures a éclaté, tous les journaux se demandaient comment gérer la situation. Publier, ou ne pas publier, les maudites illustrations de Mahomet? Tous ont cédé à la peur, parfois sous le couvert de principes, laissant Charlie Hebdo seul pour incarner cette fameuse liberté d’expression. Quand la liberté d’expression tient à un fil aussi mince, peut-on vraiment en jouir?

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