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«Montréal n’est pas faite pour les familles»

Photo: Josie Desmarais/Métro

L’historien Laurent Turcot et l’auteure Stéphanie Neveu dressent un constat amer sur la place accordée aux familles à Montréal. En couple dans la vie, avec deux jeunes enfants, ils livrent leurs impressions, envies et espoirs d’une nouvelle politique familiale en vue des prochaines élections municipales prévues le 5 novembre.

Montréal est-elle une ville adaptée pour les familles?
Laurent Turcot:
Pas pantoute, c’est un mythe! C’est une ville agréable, cool, avec beaucoup de festivals, mais elle n’est pas faite pour les familles. Les jeunes familles doivent aller de l’autre côté des ponts, car c’est impossible de se trouver un loyer abordable lorsqu’on a deux enfants. Un trois chambres, dans un quartier agréable pour une famille, c’est inabordable. Tout est soit trop petit, soit trop cher.
Stéphanie Neveu: Le problème, dans ces quartiers centraux, c’est notamment les Airbnb. Il y en a partout.

Ces locations en Airbnb toucheraient les familles?
LT:
Oui, car il n’y a plus de vie de quartier et ça devient des lieux de passage. Sans compter qu’ils laissent souvent les ruelles dégueulasses.
SN: Les heures de collecte ne sont pas respectées. Les propriétaires ou locataires vident les poubelles, les laissent dehors et relouent leur logement. On a des amis qui sont sur le Plateau, c’est une épidémie là-bas. Il y a bien plus d’Airbnb qu’on le pense.

Des politiques ont néanmoins été mises en place, notamment pour un remboursement des droits de mutations (la «taxe de bienvenue»). Elles ne vous satisfont pas ?
SN: Ces aides sont trop restrictives, limitées et contraignantes. Ils [les politiques] se vantent de proposer ces mesures, mais il y a trop de conditions à remplir. Aucune mesure n’encourage réellement les propriétaires à s’assurer que les logements soient dans de bonnes conditions. Il faut une politique qui vise à limiter la hausse des loyers, tout en s’assurant que ces logements soient conformes d’un point de vue hygiéniques.

La réalité, c’est que si on veut la qualité de vie à laquelle on aspire, ça ne se passe pas à Montréal.» – Stéphanie Neveu, auteure

Pourquoi ces familles quittent-elles Montréal [16 600 personnes, principalement des jeunes familles, ont quitté lîle en 2016]?
LT:
C’est une question financière et c’est affreux. En ce moment, toutes les classes aisées reviennent au centre-ville pour avoir des services de proximité, mais ça pousse les prix vers le haut. Il y a aussi des étrangers, comme les Français, pour qui le parc immobilier ne coûte rien. Donc les prix gonflent. Les familles qui pouvaient historiquement acheter à Montréal ne le peuvent plus et s’éloignent.
ST: Et ces familles doivent parfois acheter un véhicule, puis ont ensuite un temps de transport plus important pour notamment amener et chercher les enfants à la garderie.

Montréal sest néanmoins verdie ces dernières années
LT:
C’est tout un paradoxe, car il y a plus de parcs, plus de ruelles, plus de mobilier urbain. Mais on a souvent l’impression que c’est plus cosmétique qu’autre chose. Qu’est ce qui est fait concrètement pour les familles, quelles sont les mesures de rétention? Avant, le centre-ville de Montréal rassemblait tout le monde. Maintenant, Brossard, avec le Dix30, est un centre-ville, Laval aussi. Les gens qui sont dans ces quartiers-là ne viennent plus à Montréal, ce sont des villes autonomes.

Mais le nombre de ruelles vertes a considérablement augmenté, tout comme les espaces verts. Va-t-on dans la bonne direction?
LT:
On a rattrapé ce qu’on a raté au XXe siècle. Mais il faudrait maintenant entrer au XXIe siècle avec des axes de circulation plus verts et plus accessibles. Les ruelles ne doivent plus être des voies de déchargement ou de circulation, mais des espaces de jeu pour les enfants. On voit toujours des gens qui passent par les ruelles quand des rues sont bloquées. Ils voient des buts de hockey, sont en maudit et klaxonnent. Mais les mentalités évoluent.

Montréal pourrait-elle être perdante avec cet exode?
LT:
Elle est déjà perdante, car le renouvellement ne se fait pas, même si Montréal n’est pas en décroissance. Si tout ce que tu veux à Montréal, c’est des jeunes cadres dynamiques, grand bien te fasse. Mais ça va donner une ville à la Walt Disney ou un centre des affaires sans aucune vie sociale. Ce qui donne le cœur de la vie, c’est la mixité sociale. Un des grands éléments, ce sont les familles. Quelle est l’identité de Montréal? Les ruelles. Et qui sont dans les ruelles? Les enfants. C’est le territoire des familles.
SN: Si les enfants naissent en banlieue sans connaître Montréal, je ne pense pas que leur réflexe sera de revenir. Les gens qui ne sont jamais venus ici ont une opinion péjorative de Montréal, ils pensent que la grande ville dangereuse. Tout se joue en ce moment. Si les gens s’en vont, leurs enfants ne reviendront pas nécessairement.

Si Montréal n’a plus de familles, Montréal deviendra comme la City de Londres ou La Défense de Paris, avec une vie de banlieue qui va s’étendre de l’autre côté des ponts.» – Laurent Turcot, historien

Comment faire revenir ces familles?
SN:
Pas juste avec des parcs, mais aussi avec l’augmentation des transports en commun.
LT: Il y a de bonnes choses, comme les bibliothèques, mais aussi les piscines et les arénas qui sont en train d’être rénovés. Mais il faut forcer les promoteurs immobiliers à créer davantage d’habitations avec plus de deux chambres à coucher et limiter l’augmentation des prix.

Les candidats à la mairie de Montréal doivent-ils faire des familles leur priorité?
LT:
C’est toujours difficile de déterminer quelle est la priorité ultime, on n’a plus le choix. Il faut une volonté ouverte de retenir les familles. Le maire Coderre est très bon pour lâcher des petites phrases. Tu vois très vite ce qui lui tient à cœur ou non. Lorsque Bombardier a avoué être au bord de la faillite, Jacques Daoust a trouvé de l’argent. C’était sa priorité. Lorsque M. Coderre met de sa volonté, on sait que ça va se faire. C’est ce que les gens aiment chez lui. Mais à aucun moment, lorsqu’on parle des familles à Montréal, on ne l’entend dire: «C’est au top de ma priorité et les familles vont rester.»

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