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Le SPVM plus sanctionné que la moyenne

Photo: Archives Métro

Même si la grande majorité des interventions policières au Québec sont couronnées de succès, chaque année, environ 35 policiers sont sanctionnés par le Comité de déontologie policière. Métro a parcouru 130 documents judiciaires répertoriant les sanctions des cinq dernières années pour en dégager des tendances. On y note entre autres la surreprésentation des agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) parmi les policiers sanctionnés et un apparent problème de profilage racial au sein de l’institution montréalaise.

SPVM_1.5x2Sur les 176 policiers québécois sanctionnés depuis 5 ans (de mai 2010 à mai 2015), 49% appartiennent au SPVM. Pourtant, les policiers montréalais ne représentent que 32% des effectifs policiers au Québec.

Le porte-parole du SPVM, Ian Lafrenière, explique cela notamment par le contexte d’intervention en milieu urbain. «On fait en moyenne un million d’interventions par an dans un milieu où les échanges entre policiers et citoyens sont importants et où se tiennent, en plus, la plupart des manifestations au Québec», souligne-t-il.

S’il convient que l’explication tient la route, l’auteur spécialisé en questions policières Stéphane Berthomet pense que «cette statistique démontre tout de même des relations tendues entre le SPVM et une partie de la population.» M. Berthomet se questionne aussi sur l’efficacité du processus de déontologie, quand on sait que moins de 5 % des plaintes se rendent au tribunal.

Un des principaux motifs de sanction des policiers du SPVM est l’usage abusif de la force (25 des 96 manquements au code de déontologie des agents du SPVM). Seule la police de Québec a un taux plus élevé (35%).

Selon Rémi Boivin, chercheur en criminologie à l’Université de Montréal, cette prépondérance de l’usage de la force peut s’expliquer en partie par le processus de déontologie lui-même. «Quand l’usage de la force est en jeu, une enquête en déontologie est souvent lancée sans passer par le processus de conciliation, qui permet pourtant de régler une bonne partie des plaintes. Au final, l’usage de la force est donc surreprésenté», souligne M. Boivin.

M. Berthomet croit que cela n’explique pas tout. Il met notamment de l’avant l’étude du chercheur Marc Alain, qui a suivi une cohorte de jeunes policiers pendant six ans. À l’affirmation «Certaines personnes devraient être punies par la loi de la rue quand elles s’en prennent à un policier parce que c’est la seule vraie punition qu’elles recevront», 21 % des 316 futurs policiers se sont déclarés d’accord. Quatre ans plus tard, les mêmes policiers étaient 49% à approuver cette affirmation, note M. Berthomet, qui souligne l’importance de mesurer l’éthique des policiers tout au long de leur carrière.

Enfin, environ la moitié des plaignants semblent issus d’une minorité visible, si on se fie à leur nom, à certaines indications contenues dans les jugements contre le SPVM et à des articles de presse consultés. Pourtant, les minorités visibles ne représentent que 30% de la population montréalaise. «On est le premier service à avoir une formation au profilage racial à tous les policiers», rétorque M. Lafrenière.

A-t-on une bonne police au Québec? «Oui, mais elle pourrait être bien meilleure. Et ça passe notamment par la refonte de la formation, en s’inspirant par exemple de l’Allemagne, où le processus est plus long mais plus complet et où les élèves ressortent avec l’équivalent d’un baccalauréat en droit», lance le chercheur en criminologie Marc Alain, auteur de l’étude citée plus haut.

Selon lui, on arriverait peut-être mieux à juguler le phénomène de désillusion global de bon nombre de policiers qui s’attendaient à moins d’intervention sociales et plus de poursuites en voiture.

Un dur travail
Quelques dossiers soumis au comité de déontologie témoignent de la difficulté du métier de policier, où chaque intervention peut déraper en quelques secondes. Ce fut le cas en 2009 dans la MRC de La Matawinie, dans la région de Lanaudière, à 185 km de Montréal.

Appelé à seconder une femme souhaitant déménager ses effets personnels de son ancien domicile, un agent de la SQ remplit adéquatement ses fonctions jusqu’à ce qu’il quitte des yeux le conjoint dangereux pendant deux minutes, le temps de déplacer sa voiture qui gène le déménagement.

Quand il revient, il découvre deux corps sans vie au sous-sol. Le comité lui accorde des circonstances atténuantes tout en le suspendant sept jours sans salaire. Le chercheur en criminologie Rémi Boivin aimerait que le Comité de déontologie policière utilise son expérience pour faire des recommandations quant à la formation des policiers ou les pratiques de certaines organisations, comme le fait par exemple le coroner. «Dans le cas de La Matawinie, le comité aurait pu souligner l’importance d’agir à deux dans ce type de situation», souligne-t-il.

Il rappelle aussi que si les suspensions en déontologie policière peuvent paraître dérisoires, elles éludent tout un aspect du processus de plainte. «Pendant le processus qui s’étale sur un an ou plus, le policier visé perd toute possibilité d’avancement et subit la méfiance de ses collègues», note M. Boivin.

Si vous êtes sur un appareil mobile, basculez-le pour voir les tableaux en entier.
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Déposer une plainte, étape par étape

L’année dernière, le Commissaire à la déontologie policière a reçu 1744 plaintes. Zoom sur le processus avec Me Louise Letarte, secrétaire générale de cet organisme indépendant.

Comment fonctionne le processus de dépôt de plainte?
Chaque plainte est examinée par le Commissaire pour voir si elle est fondée. Les deux tiers des plaintes sont ainsi repoussées, parce qu’il n’y a pas eu de manquement à la déontologie. Les autres passeront par une phase de conciliation, sauf les cas plus épineux impliquant par exemple l’usage abusif de la force, la fouille illégale ou la conduite dangereuse.

Le dossier est alors immédiatement confié à un enquêteur qui a six mois pour remettre son rapport. S’il y a suffisamment d’éléments de preuve, le dossier passe devant le comité de déontologie policière, qui fonctionne comme un tribunal. Les éventuelles sanctions vont de l’avertissement à la destitution, en passant par des journées de suspension sans solde.

«Ce processus permet de conscientiser et de responsabiliser les policiers face à certaines pratiques telles que la conduite dangeureuse ou le profilage racial.» – Me Louise Letarte, secrétaire générale du Commissaire à la déontologie policière

Quels dossiers seraient à souligner à Montréal en raison de leur impact?
Plusieurs dossiers, dont celui de l’agent Smith, mettant en cause des cas où le policier appelé en urgence omet de ralentir aux intersections, ce qui peut mettre en danger les autres citoyens. Le comité retient alors généralement huit jours de suspension sans salaire. Ou encore le dossier des agents Sirois et Émond, qui ont illégalement fouillé le sac d’un étudiant en marge d’une manifestation en le menaçant d’une arrestation s’il n’obtempérait pas, ce qui n’est pas conforme au Code de déontologie puisqu’il n’avait posé aucun geste illégal.

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À lire aussi: Selon une étude du RAPSIM (Réseau d’aide aux personnes itinérantes de Montréal) et datant de janvier 2014, les relations entre personnes itinérantes et policiers sont considérées encore mauvaises ou faibles dans une proportion de 80% (contre 85% en 2012). Dans le métro, les relations entre les personnes itinérantes et les policiers ou autres agents sont considérées encore mauvaises ou faibles dans une proportion de 68%. Les deux principaux abus ressortis consistent en une force excessive lors des arrestations et une combinaison de plusieurs insultes. Malgré cela, 68% des personnes interrogées accompagnent très peu de personnes au sein du processus de déontologie policière, jugeant notamment qu’il manque d’indépendance.

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