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Femmes dans la ville: Déconstruire l’insécurité urbaine

Le stationnement du marché Jean-Talon est, selon Sophie Paquin, un bon exemple d’aménagement sécuritaire. On y trouve notamment des boutons d’urgence et l’ascenseur et la cage d’escalier sont vitrés pour plus de visibilité. Photo: Yves Provencher / Métro

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Même dans une ville considérée sécuritaire comme Montréal, des citadines peuvent ressentir de l’insécurité au cours de leurs déplacements. Pour les intervenants consultés par Métro, autant l’aménagement de la ville que la volonté politique sont nécessaires pour vaincre ce sentiment. État des lieux.

Anne Michaud
Anne Michaud / Josie Desmarais

Se sentir en sécurité dans sa ville, quand on est une femme, et pouvoir se déplacer librement, peu importe l’heure du jour ou de la nuit, ne sont pas toujours acquis. «Le nombre de fois où j’ai entendu: “Pour aller à la piscine, je ne traverse jamais [le parc en face de chez nous], parce que ce n’est pas assez éclairé”», raconte Anne Michaud, qui a une longue expérience militante et professionnelle sur le sujet de la sécurité des femmes, notamment en tant qu’ancienne employée de la Ville de Montréal.

Pour Sophie Paquin, urbaniste à la Direction de santé publique (DSP) et professeure adjointe à l’UQAM, de même que pour Mme Michaud, les femmes et les filles sont, dès leur plus jeune âge, éduquées à faire attention dans leurs déplacements parce que la ville est perçue comme comportant plus de «dangers» pour elles. Mais si le sentiment d’insécurité perçu par plusieurs femmes n’est pas nécessairement lié au taux de criminalité de la ville, il n’en demeure pas moins qu’il est réel. Mme Michaud l’illustre simplement: «Disons qu’il y a 100 femmes sur une rue. S’il y en a une qui se fait agresser et que les 99 autres sont au courant, il va y avoir 100% de sentiment d’insécurité sur cette rue.» Même son de cloche du côté de Marianne Carle-Marsan VP du Conseil des Montréalaises: «Les violences dans l’espace public la nuit n’ont pas besoin d’être effectives pour provoquer la crainte.» Elle ajoute que «l’aménagement urbain n’est pas neutre et la façon dont on aménage nos quartiers et nos espaces publics peut avoir une influence sur le sentiment de sécurité des Mont­réalaises».

Un urbanisme sécuritaire est possible
«Comme urbaniste, affirme Sophie Paquin, je [vois à] ne pas mettre en place les conditions qui pourraient être favorables ou propices au passage à l’acte criminel ou à susciter un sentiment d’insécurité.» Ces façons d’agir sur l’environnement bâti ont été consignées en 2002 dans le Guide d’aménagement pour un environnement urbain sécuritaire, publié par la Ville de Montréal et coordonné par Anne Michaud. Elles ont aussi été reprises dans Ma ville en toute confiance, publié en 2009 par l’Union des municipalités du Québec. Ces publications sont destinées notamment aux élus, aux professionnels et aux gestionnaires municipaux. On y indique six principes d’aménagement sécuritaire. On y traite de signalisation, de visibilité, d’affluence et d’entretien des lieux, entre autres.

Ces principes d’aménagement sont enseignés de façon théorique et pratique aux futurs aménagistes par Juan Torres, professeur et vice-doyen aux études supérieures à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal. «J’ose espérer [que mes étudiants] s’en servent si leurs fonctions professionnelles les amènent à être confrontés à des enjeux pour lesquels le guide peut être utile», confie M. Torres. Mais le professeur rappelle que, comme toute théorie, ces principes doivent être nuancés et appliqués selon la réalité et la complexité des projets d’aménagement.

«Le sentiment de sécurité, c’est aussi important que les conditions sécuritaires en soi.» – Léa Cousineau, première femme à présider le comité exécutif de la Ville de Montréal. La sécurité des femmes était importante pour elle et son équipe à la Ville, dans l’administration du maire Jean Doré, à la fin des années 1980 et pendant les années 1990.

Une collaboration nécessaire
Fabienne Mathieu est travailleuse à La Marie debout, un centre de femmes d’Hochelaga-Maisonneuve. Les consultations qu’a faites cet organisme au cours des derniers mois auprès des femmes du quartier ont beaucoup fait ressortir la question de la sécurité, mentionne-t-elle. «Des rues éclairées, des rues propres, ça ressort tellement.» Elle affirme qu’il est impossible pour La Marie debout d’organiser des activités après le coucher du soleil, parce que les femmes ne veulent pas sortir le soir. Le groupe tente de se faire entendre des élus, en réclamant notamment plus d’éclairage sur les rues. Mais malgré une certaine écoute, des revendications auxquelles on aurait du répondre depuis longtemps n’ont pas été ou tardent à être traitées. «Ça stagne», fait remarquer Mme Mathieu.

Il semble en effet que l’application des principes d’aménagement sécuritaire dans les rues ou les projets montréalais ne soit pas facile sans volonté politique et professionnelle. La collaboration entre les différents organismes et décideurs est «nécessaire afin d’éviter d’évacuer cette préoccupation pour des raisons économiques ou de planification déficiente», dit Sophie Paquin. «C’est un travail de longue haleine», a confié à Métro il y a quelques mois Mme Carle-Marsan quand on lui a demandé si les recommandations que faisait le Conseil sur le sujet produisaient des résultats.

Récemment questionnée de nouveau sur l’évolution du dossier, Mme Carle-Marsan se réjouissait des engagements pris par la Ville de Montréal depuis notre conversation. Ces engagements se trouvent dans le plan d’action 2015-2018 de la politique Pour une participation égalitaire des femmes et des hommes à la vie de Montréal. Ils concernent notamment la volonté de la Ville d’actualiser le Guide d’aménagement pour un environnement urbain sécuritaire et d’en intégrer les principes, orientations et objectifs dans les documents de planification de la Direction de l’urbanisme. Le plan d’action entend aussi intégrer l’analyse différenciée selon les sexes dans les projets de revitalisation urbaine intégrée. Ce type d’analyse distingue les effets sur les hommes et sur les femmes de politiques ou de mesures, dans le but de rédui­re les inégalités. «Maintenant, l’enjeu est de voir comment ces actions se concrétiseront réellement à l’échelle des quartiers et des différents arrondissements», souligne, Mme Carle-Marsan.

Principes d’aménagement

Les six principes d’aménagement urbain sécuritaire:
1- Savoir où on est et où on va (la signalisation)
2- Voir et être vue (la visibilité)
3- Entendre et être entendue (l’affluence)
4- Obtenir du secours (la surveillance formelle et l’accès à l’aide)
5- Vivre dans un environnement propre et accueillant (l’aménagement et l’entretien des lieux)
6- Agir ensemble (la participation de la communauté)

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