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Quand la mort fait progresser la science

Photo: Denis Germain

Le nombre de corps admis dans les institutions d’enseignement a bondi de plus de 30% entre 2006 et 2014, révèlent des données compilées par TC Media.

En 2006, les six établissements scolaires du Québec participant au programme de don de corps à des fins scientifiques ont accueilli 196 dépouilles mortelles dans leur réfrigérateur. En 2014, ce nombre se situait à 261. Il s’agit d’une augmentation de 33,1%. L’an dernier, 204 corps ont été acheminés à l’une ou l’autre des institutions.

Cette tendance à la hausse au cours des dernières années s’explique par la popularité grandissante du don de corps aux établissements d’enseignement. Environ 14% des dépouilles admises en dix ans étaient des corps non réclamés.

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À l’Université de Sherbrooke (UdeS), une moyenne de 55 corps est acceptée chaque année. Pour la majorité, il s’agit de dons volontaires. «Il y a des années, c’était deux corps sur trois qui étaient (…) non réclamés», indique Denis Bisson, technicien prosecteur et responsable du laboratoire d’anatomie et de plastination de l’UdeS.

Lors du passage de TC Media au laboratoire d’anatomie de l’UdeS, des étudiants de physiothérapie et d’ergothérapie développaient leurs connaissances de l’anatomie humaine à l’aide de… deux corps embaumés et disséqués.

Ils s’affairaient notamment à cibler et identifier les nerfs, les muscles, les artères, les ligaments et les veines.

Un groupe d’une autre discipline médicale était attendu pour être initié à des techniques chirurgicales sur des segments de membres inférieurs. «Les corps servent aux étudiants et aux médecins en pratique», note Denis Bisson.

De vrais corps?
Pourquoi utiliser des cadavres plutôt que des mannequins? «Les mannequins, ça peut être bon, mais avec un vrai corps humain, on perçoit vraiment l’aspect du 3D, ce qui est réellement important», relate Denis Bisson.

Valéry Bouchard, monitrice en habileté clinique en réadaptation à l’UdeS, abonde dans le même sens. «J’ai fait ma technique au Cégep. On apprenait juste dans un atlas et avec des élastiques reliés d’os à os», raconte-t-elle.

Elle a ensuite suivi le programme d’ergothérapie à l’UdeS où elle a pu manipuler de vrais corps. «Il y a plusieurs couches de muscles. [Avec les vraies dépouilles mortelles], ça nous permet de voir la structure des muscles. C’est vraiment défini. Et chaque corps est différent. Les étudiants voient, par exemple, qu’un nerf ne passera pas au même endroit selon la personne. Dans un atlas, il n’y a pas de variante alors que dans la vraie vie, il y a une panoplie de possibilités», poursuit Mme Bouchard.

Thanatologie
Au Collège Rosemont, le seul établissement au Québec qui forme les thanatologues, l’utilisation de vrais corps revêt une importance capitale.

«La thanatopraxie, c’est une technique invasive. On utilise des piquants, des tranchants et on fait des gestes techniques. Ce n’est pas pratique d’avoir un mannequin. Les étudiants doivent aussi reconnaître ce qu’il se passe. Ils doivent reproduire des traits d’expression. Ça prend de vraies dépouilles», soutient Sophie Benoit, enseignante et responsable de la coordination et du département de thanatologie au Collège Rosemont.

L’établissement collégial est le moins restrictif en termes de condition d’acceptation des corps. «Les étudiants doivent apprendre dans toutes sortes de conditions. C’est souhaité d’avoir des dépouilles de différente apparence pour nos étudiants», enchaîne Mme Benoit.

*

En chiffres:

327
Nombre de corps non réclamés admis dans une institution d’enseignement de 2006 à 2015.

2348
Dépouilles mortelles ayant été utilisées à des fins scientifiques, incluant les dons de corps, entre 2006 et 2015.

11.87%
Proportion des corps non réclamés admis dans les facultés.

32
Le plus jeune corps ayant servi à des fins d’enseignement au laboratoire d’anatomie de l’UdeS est celui d’une femme de 32 ans qui est décédée d’un cancer de l’utérus.

103
Une dame de 103 ans, qui est décédée de «sa belle mort», remporte le titre de doyenne du laboratoire d’anatomie de l’UdeS.

Des corps conservés… 10 ans!
Trois types de cadavres sont conservés au laboratoire d’anatomie de l’Université de Sherbrooke (UdeS): les corps frais, embaumés standards et embaumés selon la méthode Thiel. Un corps frais réfrigéré et bien emballé peut être conservé jusqu’à trois mois. «On peut garder un corps embaumé selon la méthode standard pendant dix ans», explique Denis Bisson, technicien prosecteur et responsable du laboratoire d’anatomie et de plastination de l’UdeS. Quant à la méthode Thiel, elle permet au corps de conserver la même motricité qu’un être humain vivant. «Pour l’embaumement standard et la méthode Thiel, on essaie de prioriser les corps non réclamés, précise M. Bisson.

5
Le Collège Rosemont, l’Université Mc Gill, l’Université de Sherbrooke, l’Université Laval, l’Université du Québec à Trois-Rivières sont les établissements d’enseignement qui acceptent les corps à des fins scientifiques. L’Université de Montréal a déjà participé au programme, mais n’y prend plus part.

*

Critères
Pour être accepté dans un établissement d’enseignement, le corps…

Ne doit pas être embaumé ou avoir été autopsié;

Ne doit pas avoir subi d’interventions chirurgicales majeures deux mois avant le décès;

Doit avoir tous ses organes vitaux;

Doit être celui d’adulte et avoir un poids proportionnel à sa grandeur;

Ne doit pas être déformé;

Ne doit pas avoir été brûlé ou avoir subi un accident majeur;

Ne doit pas être celui d’une personne décédée d’une maladie contagieuse (hépatites A, B ou C, sida, septicémie, choc septique, SARM, SRAS, infection à C. Difficile, etc.)

Ne doit pas contenir de substances radioactives;

Doit être en bon état et pouvoir être transporté vers l’établissement d’enseignement dans les 48 heures suivant le décès. Ce délai peut être prolongé s’il est possible de réfrigérer le corps ou raccourci si le décès survient en période de canicule.

Saviez-vous que…?
Le seul organe qu’un défunt peut offrir avant de voir son corps être utilisé à des fins d’enseignement est la cornée, une partie de l’œil.

L’Institut universitaire en santé mentale Douglas, située à Montréal, accepte les dons de… cerveau!

Un corps non réclamé selon le gouvernement
«Un corps est réputé non réclamé lorsque le conjoint, ou, à défaut ou en l’absence de celui-ci, les proches parents jusqu’au degré de cousin germain inclusivement déclarent par écrit qu’ils n’ont pas l’intention de le réclamer, s’en désintéressent manifestement pendant au moins 24 heures après avoir été avisés du décès ou n’ont pu être trouvés à l’expiration des 24 heures suivant la production d’un rapport des recherches effectuées par un service de police.» – Article 57 de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres

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