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Michel Tremblay: Lumière, lumière!

Photo: Yves Provencher/Métro

Invité d’honneur du 37e Salon du livre de Montréal, Michel Tremblay y arrive, porté par son amour de la rencontre avec les lecteurs et armé de Survivre! Survivre!, le tout nouveau tome de la saga des Desrosiers. Entretien.

Survivre, c’est un mot assez rude, lourd. Mais le répéter comme ça, pour en faire un titre, avec une exclamation, lui confère une certaine légèreté. Ce contraste [entre la noirceur et la douceur, qu’on retrouve d’ailleurs tout au long du récit], vous souhaitiez l’établir dès le départ?
Survivre tout seul, c’est moins lyrique en fait. Et je voulais que le texte soit lyrique, parce que ce sont des survivances qui sont souvent au-dessus de la réalité. Survivre tout seul, ç’aurait eu l’air de, je ne sais pas moi, un reportage sur les randonnées en Ardèche. (Rires) Alors que Survivre! Survivre! c’est un peu comme Absalon, Absalon! de William Faulkner. Juste Absalon, ça n’aurait pas été très intéressant!

Au début du roman, un de vos personnages, Josaphat, fait la distinction entre la consolation et la survie. Il dit qu’une consolation, ça sert à continuer, à endurer, alors qu’une survie, ça empêche de mourir. Est-ce que vous partagez son point de vue?
Oui. Je suis pas mal parti de ma propre philosophie. Ce sont des choses très importantes. Et très différentes. Je ne veux pas revenir là-dessus, mais comme j’ai frôlé la mort deux fois, la survivance (pas juste la résilience) est devenue une chose importante pour moi. Je suis un survivant, alors je sais ce que c’est que de passer à travers les choses. Passer ET survivre! Pas juste «ne pas mourir», mais continuer à vivre dans la survie.

On a plusieurs fois souligné que c’est un livre dans lequel vous parlez beaucoup d’odeurs (le gardénia, la friture de poisson…) Comme dans tous vos livres d’ailleurs.
J’ai toujours dit que l’odorat est le sens le plus négligé. Il y a tellement d’odeurs extraordinaires dans le monde! C’est une des raisons pour lesquelles je suis heureux à Key West: parce que ça sent les fleurs à l’année. C’est toujours le printemps pour une fleur quelque part à Key West! Je passe mon hiver à bicyclette et, d’une rue à l’autre, les odeurs changent… C’est un bonheur pour moi.

La cuisine occupe une place considérable dans votre œuvre: on découvre cette fois le meilleur rosbif à l’est des Rocheuses, le pepper steak pas de piments, le Jell-O à la limette avec du lait et du sucre, délice dont on n’avait personnellement jamais entendu parler…
Ah oui! Quand je dis ça à mes amis, ils trouvent ça dégueulasse, mais moi, j’aime beaucoup ça! (Rires)

Est-ce que vous trouvez qu’un plat vaut mille mots? Que tout de suite, à son évocation, on se transporte dans un endroit donné
avec un sentiment donné?

Ça, c’est des trucs d’écrivain. Si on rappelle au lecteur des souvenirs personnels et qu’on lui parle de choses qu’il connaît, qui sentent ou qui goûtent, il y a un rapport qui va se faire entre le livre et lui. Par exemple, combien de Québécois plus vieux ont mangé des petits chapeaux de baloney quand ils étaient petits? On ne peut plus en faire maintenant, parce que le baloney n’est pas assez gras. Beaucoup de choses ont été perdues comme ça. Mais si on en parle à des gens qui en ont mangé, c’est sûr qu’il y a un rapport direct et automatique qui se fait! (Rires)

«Rencontrer les lecteurs, c’est la preuve tangible qu’ils existent. Les sourires qu’ils me font, les compliments… Ça me fait tellement de bien, c’est incroyable. Je repars de là boosté!» -Michel Tremblay, au sujet de l’expérience du Salon du livre, qu’il chérit

 

Vous avez souvent dit que les auteurs sont d’excellents menteurs. Dans ce livre, vous écrivez d’ailleurs : «On voit que les clients du bar préfèrent nettement les légendes inventées et passionnantes de La Duchesse aux histoires véridiques et ennuyeuses de Xavier Lacroix.» Être un bon menteur, c’est un talent? Ou ça s’apprend?
Dans la vie, oui, sûrement. Dans la vie, mentir doit être une espèce de, pas de métier, mais de don qu’on développe. Alors que dans l’écriture, c’est automatique. C’est pour ça que je dis que la seule autobiographie possible pour moi est celle d’un menteur. Ça ne se peut pas, une autobiographie objective, ça ne va pas ensemble! C’est comme au théâtre: dans mes pièces, on le sait toujours qu’on est au théâtre. On ne peut pas se faire croire que ce qui se passe sur scène est vrai, à cause de la structure. J’ai toujours travaillé là-dessus, justement, pour que le spectateur se leurre lui-même.

Dans Survivre! Survivre!, la lumière est très présente: on pense à l’éclairage flatteur au bar de Québec, à la pénombre et au noir de l’auberge…
… et l’automne! L’automne qui arrive!

Cette forte présence de l’éclairage, elle vous vient du théâtre?
Ah, je ne sais pas… Pour moi, c’est de l’atmosphère. C’est des détails [qu’il faut mentionner] si on veut que le lecteur marche, qu’il croie en ce qu’il lit. Parce que mes dialogues sont écrits dans un français différent de celui de mes descriptions, j’aime lui faire sentir et voir des choses dans mes descriptions, justement.

Sur une autre note, il y a deux ans, Radio-Canada a diffusé une série radiophonique qui vous était consacrée, Une rue autour du monde. Dans un extrait d’archives de 1998 (qui nous a beaucoup marquée), vous disiez: «Je me suis toujours trouvé tellement insignifiant que j’ai écrit 46 livres pour justifier ma présence dans le monde.» Est-ce qu’avec le temps, ce sentiment s’est estompé?
(Rires) La preuve de ça, c’est que mon alter ego dans tout ce que j’écris, Jean-Marc, c’est le personnage le plus insignifiant, le moins intéressant de toute la gang que j’ai inventée! Est-ce que c’est un manque de confiance en moi? Je suppose! Mais je lui ai donné mon sens de l’humour; je lui ai quand même donné quelques-unes de mes qualités!

Michel Tremblay Survivre! Survivre!Survivre! Survivre!
Aux éditions Leméac
Michel Tremblay au SLM
De jeudi à dimanche

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