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Cadeaux des entrepreneurs: la culture d'entreprise

MONTRÉAL – L’ingénieur Luc Leclerc, retraité de la Ville de Montréal, a décrit jeudi à la Commission Charbonneau ce qu’il a qualifié de «culture d’entreprise», soit une culture de tolérance face à la proximité entre les ingénieurs et les entrepreneurs qui leur offraient des cadeaux.

Ces cadeaux sont arrivés «pour tout le monde» par camion dès Noël 1990, a relaté l’ancien chargé de projets au service de la voirie.

Il a raconté qu’à Noël 1990, quelqu’un est entré dans son département et a dit «mettez vos manteaux, on sort dehors». Un premier camion «pickup» est arrivé rempli de cadeaux.

«Mon nom est là; je prends le cadeau et mets ça dans la voiture comme les autres», s’est-il souvenu.

La scène de la livraison des cadeaux s’est répétée «deux ou trois fois dans la journée» et «pendant plusieurs jours avant Noël», s’est remémoré le témoin.

«C’était la culture d’entreprise. Ça faisait des générations que ça se faisait comme ça», a-t-il raconté. Et le phénomène s’est répété d’année en année, sans que personne ne sourcille au plan éthique.

La situation s’est compliquée quand son département a déménagé de la rue Viger à la rue Duke. Il passait alors d’un plain-pied à un immeuble où il fallait prendre l’ascenseur, ce qui compliquait la vie de ceux qui devaient sortir en manteau et repasser devant tout le monde avec leur cadeau sous le bras. Les employés récompensés devaient donc se rendre eux-mêmes au bureau de l’entrepreneur ou bien ce dernier faisait une «livraison à domicile» à l’employé gratifié, a-t-il raconté.

Lui qui avait précédemment travaillé à la défunte Communauté urbaine de Montréal a admis que là-bas, ça ne fonctionnait pas de telle façon. C’est à la Ville que les cadeaux ont afflué et que le climat de proximité s’est instauré avec les entrepreneurs.

Les pots-de-vin se sont multipliés quand il a déployé son talent pour réclamer des «extras» de la Ville pour des travaux censément réalisés par l’entrepreneur.

Le plus gros pot-de-vin a atteint 25 000 $ et ce fut le cas à quelques reprises. Mercredi, il a estimé avoir reçu 500 000 $ comptant au total, sans compter les tournois de golf, les bouteilles de vin, les repas à 100 $ par convive au restaurant et les billets de hockey. Les bouteilles de vin, «il n’y en a pas qui n’en donnaient pas; c’était universel».

M. Leclerc déployait ce qu’il a appelé son «service cinq étoiles» pour favoriser les entrepreneurs généreux à son égard. Ce service consistait à utiliser une méthode de calcul plus favorable à l’entrepreneur, comme le fait de payer l’entrepreneur à l’heure, par exemple. Ou bien il veillait à ce que les dossiers se règlent vite au service administratif, afin que l’entrepreneur soit plus rapidement payé par la Ville.

Possible de le coincer?

En réponse à la question du commissaire Renaud Lachance, il a indiqué qu’il aurait «été très difficile» pour un supérieur honnête et rigoureux de le coincer, tant il était devenu habile dans ses manigances.

Du même souffle cependant, il a souligné qu’il ne se cachait pas de jouer au golf avec des entrepreneurs en construction et qu’il avait une entente «tacite» avec les surveillants des travaux, à défaut d’entente ouverte, pour disposer d’une certaine marge de manoeuvre dans ses recommandations de paiements. Il savait aussi, avec son supérieur Gilles Vézina, ce qui pouvait «passer» et ce qui ne pouvait pas passer comme extras.

Il prenait la peine de toujours partir de véritables travaux imprévus réalisés par l’entrepreneur pour gonfler la facture des extras. Sans ces véritables travaux imprévus, «je n’avais pas beaucoup d’espace pour faire place à mon imaginaire», a-t-il lancé. «Je ne peux pas inventer des choses.»

L’ancien chargé de projets a aussi soutenu que l’adoption du code de conduite à la Ville de Montréal en 2009 a eu un effet dissuasif et les gens se sont autodisciplinés. Il a pris sa retraite en 2010. La procureure de la Commission, Me Sonia Lebel, lui a toutefois fait admettre que même avant ce code, il était lié par un code de déontologie en tant qu’ingénieur.

Mais il a prétendu que si on lui avait expliqué la portée d’un code, il aurait peut-être pris cela plus au sérieux. «Moi, personnellement, ça m’aurait peut-être fait allumer, fait peur, fait prendre conscience plus rapidement», a-t-il avancé.

M. Leclerc a aussi affirmé qu’à cause des compressions budgétaires au fil des ans à la Ville de Montréal, le personnel de son service avait été considérablement réduit depuis 1990, ce qui a ouvert la voie aux profiteurs.

Lui-même se retrouvait constamment face aux mêmes entrepreneurs et il s’est créé des liens, dans un contexte où il y avait peu de surveillance. «On était plus vulnérable, parce qu’on était moins nombreux et qu’on avait moins de ressources», a-t-il opiné.

Son interrogatoire en chef est terminé. Son contre-interrogatoire commencera quand la Commission reprendra ses travaux, le lundi 12 novembre.

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