Des logements Airbnb où s’entassent des dizaines de personnes

Nuisances sonores, va-et-vient constant, stationnements engorgés… Des résidants de la rue Cartier entre les rues Rachel et Gauthier, sur le Plateau-Mont-Royal, disent «vivre un enfer» depuis que des dizaines de touristes louent, sur Airbnb, les appartements d’un propriétaire du secteur.
Les citoyens de ce quartier résidentiel situé à deux pas du parc Lafontaine, qui ont lancé une pétition et qui ont été rencontrés par Métro, disent en effet avoir perdu, depuis près de trois ans, leur qualité de vie en raison de la présence de touristes venus «faire le party» à Montréal le temps d’un week-end.
Jasmin Tremblay possède quatre condos situés aux nos 4043, 4045, 4047 et 4049 de la rue Cartier et, selon des messages textes envoyés à des résidants du quartier et obtenus par Métro, il en gère également quatre autres sur la même rue. Toutefois, sur Airbnb, seulement cinq appartements offerts en location sont à son nom. «Je ne suis pas propriétaire de tous ces logements, précise Jasmin Tremblay, qui dit aider son voisin à louer les siens. J’en gère quatre. Tout le monde profite de mon excellente réputation. Je suis propriétaire du 4043-4049, c’est le gîte du Parc. Et le 4045-4047 est aussi à moi, c’est le gîte Le Central. On est deux gestionnaires.»
Sur la plateforme, les descriptions indiquent que les logements peuvent accueillir jusqu’à 12 personnes pour un 3 1/2 et 15 pour un 5 1/2. Les photos affichées sur Airbnb prouvent qu’il est possible d’accueillir autant de personnes : des salons avec plusieurs divans-lits, des chambres où s’entassent les matelas et des penderies transformées en lits superposés.
«Il est en train de faire un complexe hôtelier dans un quartier résidentiel et familial», déplore Francis Charest, un des dix résidants du quartier rencontrés par Métro.
Parfaits pour faire la fête?
Cette surpopulation n’est pas sans causer des maux de tête à des résidants du quartier. Bruit, déchets qui traînent, langage grossier et fêtards alcoolisés à toute heure du jour et de la nuit empoisonneraient la vie de certains voisins. Et puisque les logements – sauf un – ne possèdent qu’une salle de bains, il n’est pas rare non plus d’apercevoir des hommes uriner dans la rue, dans la ruelle et sur le toit (voir photo). «Les gens n’en peuvent plus», déplore un couple du quartier désirant garder l’anonymat.
M. Tremblay juge que ces personnes exagèrent, soutenant que ses activités ne sont pas plus bruyantes que celles «des résidants normaux qui, un vendredi soir, font un 5 à 7». Il fait également remarquer que des messages ont été affichés dans chaque logement demandant de respecter le voisinage et de ne pas faire de bruit. «Je fais tout pour protéger mes voisins», ajoute-il.
Métro a pu constater que certaines des descriptions en anglais faites par M. Tremblay sur Airbnb précisent que «ce n’est pas un endroit pour faire des partys [et que ses] voisins sont de bonnes personnes et qu’il ne veut pas de plaintes». Mais selon plusieurs résidants, ces touristes sont généralement âgés entre 25 et 35 ans et ils y organisent parfois des bachelor parties.
«Les gens ne viennent pas à Montréal pour faire le party dans un appartement, insiste M. Tremblay. Ils vont visiter la ville, ils vont dans les bars en ville.» Pourtant, la section des commentaires qui accompagne les annonces des logements de M. Tremblay sur Airbnb compte de nombreux messages d’anciens locataires qui indiquent que ce sont des «endroits parfaits pour des groupes qui veulent faire la fête».
Le poste de quartier du Service de police de la Ville de Montréal confirme pour sa part que de nombreuses plaintes ont été déposées en ce qui concerne ces logements. Pour le seul 4043, rue Cartier, pas moins de 30 plaintes pour nuisance sonore ont été reçues et une expulsion a été effectuée depuis janvier 2015.
«C’est illégal»
«On a reçu plusieurs plaintes de résidants de la rue Cartier, indique Marianne Giguère, conseillère d’arrondissement pour le district De Lorimier. Ce n’est pas légal, ce qu’il fait. [M. Tremblay] n’a pas le droit d’exploiter [ses propriétés] à des fins commerciales en zonage résidentiel.»
«Il exploite plusieurs adresses, mais il en a une qui est reconnue comme un gîte, confirme Mme Giguère. Toutefois, il a beaucoup plus d’adresses [que celles dont il est propriétaire, NDLR]. Il y en a donc qui ne sont pas réglementaires. La majorité des logements qu’il met sur Airbnb, il n’y habite pas [à la différence d’un gîte où le propriétaire doit occuper les lieux, NDLR]. C’est de l’occupation à 100 % commerciale.»
Jasmin Tremblay ne respecte pas non plus son obligation d’afficher un panonceau de gîte bien en vue sur la façade. S’il s’en abstient, c’est qu’il se dit insatisfait de la cote 2 étoiles que lui a accordée le CITQ.
«On n’a ni la réglementation ni les ressources pour contrôler l’hébergement touristique», dit Mme Giguère, précisant que ce dossier relève de la responsabilité de Québec. «Ça ne veut pas dire qu’on ne fait rien. On travaille à essayer de diminuer les nuisances, mais la collaboration avec le gouvernement provincial est déficiente.»
Outre les nuisances pour le voisinage qu’occasionnent ces locations, c’est aussi le parc locatif qui est affecté. «Tous ces logements sont retirés de notre parc locatif, ça désintègre [le] tissu social et urbain lorsqu’on détruit un zonage sur une rue résidentielle.»
Selon les résidants interrogés, des propriétaires des rues Cartier et Dorion, exaspérés par la situation, se sont résignés à mettre leur propriété en vente. «Cette semaine, on a pris la décision de chercher autre chose», regrette une propriétaire de condo.
Sur la plateforme Airbnb, les photos montrent entre autres des salons avec plusieurs divans-lits et des penderies transformées en lits superposés.
Les citoyens ne savent plus à qui s’adresser
L’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, la Ville de Montréal, le Service de police de la Ville de Montréal, le ministère du Tourisme et même l’entreprise Airbnb ont été prévenus à plusieurs reprises de la situation que vivent les résidants des rues Cartier et Dorion, mais aucun d’eux ne parvient à répondre convenablement aux interrogations des citoyens.
Ceux-ci ont donc fait suivre à la ministre du Tourisme, Julie Boulet, ainsi qu’aux instances concernées, une pétition signée par 138 résidants. Plusieurs d’entre eux auraient été forcés d’y apposer leur signature, selon le propriétaire Jasmin Tremblay.
«Pourquoi le ministère du Tourisme a-t-il donné [à M. Tremblay] une attestation pour accueillir plus de 70 personnes?» s’interroge un des signataires de la pétition, Francis Charest. «Le ministère nous dit qu’il faut voir avec la Ville pour le zonage et, en ce qui concerne le bruit, c’est à la police de s’en occuper», dit un autre résidant, consterné.
Averti de la situation il y a près d’un an, le ministère du Tourisme avait répondu dans une lettre adressée à une résidante du secteur que «M. Tremblay exploite en toute conformité à la Loi sur les établissements d’hébergement touristique puisqu’il possède des attestations délivrées pour ses établissements situés aux 4043-4049 et 4045-4047, rue Cartier».
Le ministère du Tourisme a précisé à Métro dans un courriel que «des demandes en vue de l’obtention d’attestations de classification ont été déposées auprès de la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ) pour trois établissements [et qu’]aucune enquête n’est en cours dans ce secteur».
Le ministère rappelle également qu’en vertu de la Loi sur les établissements d’hébergement touristique, entrée en vigueur le 15 avril dernier, «toute personne qui offre de l’hébergement à des touristes contre rémunération pour une période de moins de 31 jours sur une base régulière et rendue publique doit posséder une attestation de classification».
Jasmin Tremblay affirme que «toutes les instances sont au courant et [qu’il] répond à toutes les normes». «Je suis en toute légalité. Ils font leurs vérifications. Ils sont dans une période grise, ils ne savent pas trop comment ça fonctionne», soutient-il.
En octobre 2015, M. Tremblay avait reçu un courriel de la CITQ, dont Métro a obtenu copie, indiquant que ses deux gîtes – le gîte du Parc et le gîte Le Central, tous deux situés sur la rue Cartier – sont en règle.
Litige
Joint par téléphone, l’organisme qui gère le programme de classification des établissements d’hébergement a néanmoins affirmé que «le dossier est actuellement en litige». Selon les explications reçues de la part du CITQ, il se peut qu’il y ait eu infraction au règlement depuis la réception du courriel. Le litige concerne un des établissements de M. Tremblay, qui doit passer de la catégorie «gîtes» à «autres établissements d’hébergement», «car 17 places de couchage ont été observées sur place alors que la catégorie ne permet qu’un maximum de 15 places», selon un courriel de la CITQ reçu par le propriétaire.
Bien que le ministère du Tourisme ait indiqué à Métro qu’«aucune enquête n’est en cours», la CITQ a expliqué qu’il est possible que l’enquête n’ait pas encore débuté.
Selon le règlement sur les établissements d’hébergement touristique, les gîtes se définissent comme suit: «établissements où est offert de l’hébergement en chambres dans une résidence privée où l’exploitant réside et rend disponibles au plus 5 chambres qui reçoivent un maximum de 15 personnes, incluant un service de petit-déjeuner servi sur place».
[NDLR : Depuis l’automne 2016, Jasmin Tremblay a cessé ses activités. Et, les résidants du quartier affirment avoir retrouvé leur tranquillité.]
[NDLR: Quelques heures après la publication de l’article de Métro, 4 des logements ont été retirés de la plateforme Airbnb. En soirée, les logements étaient de nouveau disponibles.]