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Le Venezuela, là où survivre est une routine

CARACAS, VENEZUELA - MARCH 02: Shoppers wait in line ouside of a supermarket for scarce foodstuffs on March 2, 2014 in Caracas, Venezuela. Venezuela has one of the highest inflation rates in the world, and many basic food items such as flour, cooking oil and milk are often out of stock in stores. When local residents hear of the arrival of a new shipment, they queue up for hours. (Photo by John Moore/Getty Images) Photo: Getty Images
Irene Ayuso M. - Metro World News

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La pénurie de nourriture a fait des files d’attente le quotidien des Vénézuéliens. Deux d’entre eux ont parlé à Métro et racontent leur vie au cœur de la crise sans précédent qui frappe leur pays.

L’État qui compte les plus grandes réserves de pétrole du monde fait face à un manque de devises étrangères, provoqué par la chute dramatique du prix de l’essence, qui a mené le gouvernement à limiter l’accès aux dollars. Moins de devises et moins d’importations, alors que le Venezuela et ses 30 millions d’habitants achètent de l’étranger à peu près tout ce qu’ils consomment.

En même temps, le prix des biens de consommation a connu une montée vertigineuse, ce qui place aujourd’hui le Venezuela au rang des champions de l’inflation. Avec un taux de 180,9%, l’envolée des prix supplante largement celle de pays comme l’Iran (32%), l’Argentine (14%), l’Égypte (10%) et le Brésil (9%).

Voici les témoignages d’Ana, d’Isabel et de Diego, tous trois citoyens vénézuéliens.

«Manger une arepa est devenu un luxe»

Isabel est une femme de 33 ans habitant à Caracas. Issue d’une famille de quatre enfants, elle est la seule qui demeure au Venezuela. Ses trois frères ont tous émigré : un en Espagne, l’autre au Chili et le dernier aux États-Unis.

Cette animatrice sociale raconte à Métro que des jours dédiés aux achats ont été implantés dans le pays: selon les derniers chiffres figurant sur votre carte d’identité, tel jour sera votre tour. «J’ai les mardis et les dimanches pour me procurer les produits réguliers, ceux que nous consommons tous les jours. Mais il se peut qu’une fois votre tour venu, le produit ne soit plus disponible, ou qu’il soit disponible à 7 h et qu’il ne le soit plus à 17 h. Vous pouvez imaginer un peu la longueur des files d’attente, la lenteur du processus et le désespoir des gens», dit-elle.

«Nous ne vivons : nous survivons. C’est juste très triste de penser que ça nous arrive. Tout le monde n’a pas tout ce qu’il lui faut, et c’est à fendre le cœur de voir des gens affamés et angoissés.» – Isabel, Caraqueña – habitante de Caracas âgée de 33 ans

Les Vénézuéliens passent en moyenne 35 heures par mois dans des files d’attente pour faire leurs achats, soit 13 fois plus qu’en 2014, selon le cabinet de sondage vénézuélien Datanalisis.

Isabel explique que ses concitoyens et elle ont peu d’options. «Soit vous n’achetez pas ce que vous voulez parce que ce n’est plus disponible, soit vous vous le procurez, mais à prix exorbitant, parce qu’il provient de l’étranger ou parce que quelqu’un vous l’a revendu.»

La revente (ou bachaqueo) est illégale au Venezuela. Elle consiste à revendre à prix d’or – parfois 100 fois le coût d’origine – ce que des millions de Vénézuéliens attendent chaque jour des heures de se procurer.

Neuf Vénézuéliens sur 10 ne peuvent acheter suffisamment de nourriture, selon une étude menée par l’université publique Simón Bolívar. Depuis que la pénurie de produits subventionnés s’est aggravée, la revente est devenue un commerce très lucratif. Ainsi, 70% des gens qui font la file, chaque jour, seraient des bachaqueros, selon Datanalisis. «Parfois, nous rions de la situation, dans la file, parce que ce que nous vivons est très triste. Nous rions de voir une arepa remplie de fromage, de beurre et de dinde, en disant que c’est un luxe. Quelque chose que tout le monde mangeait est devenu un produit de luxe», se désole-t-elle.

Des gens créent des groupes sur WhatsApp pour faire du troc. Par exemple, des mères: «Avez-vous des couches? J’ai de la farine et du pain en échange…»

Venezuela Tense As Unrest Over President Maduro's Government Continues

«L’insécurité nous paralyse»

Ana vit à Caracas. Elle est enseignante à la retraite de 52 ans et mère de deux enfants qui ont récemment émigré au Chili, convaincus que leur pays ne leur offrait pas un «avenir sécuritaire».

Parmi les raisons qu’Ana évoque pour expliquer le départ de ses enfants, elle cite le manque de sécurité comme facteur déterminant. «Ici, les garçons n’osent pas quitter la maison, par crainte de se faire voler ou tuer. Les malfaiteurs ne se contentent pas de prendre vos possessions : ils prennent aussi la vie de leurs victimes.»

Le Venezuela est perçu comme le pays le plus corrompu d’Amérique du Sud, selon le palmarès dressé annuellement par l’organisme Transparency International. Le pays figure également sur la deuxième marche en ce qui a trait au taux d’homicides, derrière le Honduras.

Ana raconte que «les pénuries sont difficiles à vivre, mais l’insécurité est pire parce qu’elle vous paralyse. Vous n’osez plus sortir, et les rares fois où vous le faites, vous essayez de rentrer avant 18h, parce que pour rien au monde vous ne voudriez être seul dans les rues à la tombée du jour». Elle indique que l’autre jour, elle marchait tranquillement avec sa nièce lorsque des hommes en voiture les ont interceptées à la pointe de leur fusil. «Donnez-nous vos téléphones ou on vous tue!». Ana n’a pas eu le choix: «Nous avons dû les leur donner, parce qu’ils auraient vraiment tiré.»

«Les Vénézuéliens essaient de survivre, ajoute-t-elle. Nous évitons de sortir pour ne pas dépenser. Se réunir entre amis autour d’un café est une chose qu’on ne peut plus se permettre, parce que nous n’en avons plus les moyens. Nous sommes restreints à acheter seulement notre nourriture; ce qui est essentiel, le strict minimum. Plus personne ne peut se payer de petits luxes, et la qualité de vie s’est nettement dégradée au cours des dernières années.»

«Si vous êtes malade, il est devenu très difficile de trouver des médicaments : il n’y en a plus. J’ai parfois de l’aide de ma fille pour boucler le budget et me procurer mes traitements.» Ana est réduite à demander à ses enfants de lui acheter de la nourriture. «Les Vénézuéliens n’apportent plus de souvenirs lorsqu’ils vont à l’étranger: ils rapportent de la nourriture», se désole-t-elle.

Ana garde foi néanmoins: les choses vont forcément changer, cette année. «Je crois en mon pays, et j’ai l’espoir que les choses vont s’améliorer. Il le faut, pour que mes enfants reviennent», conclut-elle.

graphique Venezuela penurie

«Les gens meurent de faim»

Diego est un Vénézuélien de 33 ans qui vit à Valencia, situé dans l’ouest de Caracas. Il affirme qu’il s’en tire pas trop mal avec ses deux compagnies, mais insiste pour dire que son cas n’est pas représentatif du sort de la majorité

Il explique que la réalité qui afflige son pays avec des phrases emphatiques. «La situation est merdique si vous n’avez pas d’argent et si vous en avez, vous êtes obligé de vous enfermer tellement c’est dangereux dehors.»

Le panier de base est inaccessible à la population (voir graphique). En raison de l’inflation galopante, une famille moyenne de cinq a désormais besoin de 18 salaires de base. «L’échange parallèle – celui qui n’est pas assujetti à l’État – est le seul où le commun des mortels peut acheter des dollars. Le salaire minimum est de 60$, ce n’est même pas suffisant pour s’acheter le quart d’un panier de base. Les gens meurent de faim», témoigne Diego.

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