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Vers une montée de l’homonationalisme?

Le débat sur la Charte des valeurs dérape et entraine dans son sillage un pan de la communauté LGBT qui semble confondre la neutralité religieuse de l’État, primordiale pour la protection de leurs droits, et une laïcité fermée et uniformisante. Inquiet de voir la montée de ce qu’il qualifie d’«homonationalisme», un lecteur désirant demeurer anonyme m’a écrit la lettre qui suit. Je voulais la publier ici parce qu’elle contient une importante mise en garde à ceux qui seraient tentés d’adhérer à cette idée selon laquelle «l’espace public doit être ouvert à la diversité sexuelle, mais fermé à la diversité religieuse».

Le visage gai de la haine

Le débat sur le projet de charte des valeurs a malheureusement donné un espace de légitimité et un auditoire à l’expression d’une haine envers, entre autres, les musulmans. Les milieux gais québécois n’ont pas échappé aux dérives récentes, comme le montre le groupe Facebook «LGBT pour la laïcité», créé par M. André Gagnon, éditeur de magazines gais.

Depuis sa création, le nombre de membres augmente chaque jour et parmi eux, on retrouve certaines personnalités influentes du milieu, qui proviennent des secteurs communautaires, universitaires et médiatiques. Ce groupe diffuse, presque quotidiennement, des propos haineux sur les musulmans, y allant de généralisations abusives, de procès d’intention et de propagation de faux témoignages et pseudo-documentaires trouvés sur YouTube. Les affirmations insidieuses et fallacieuses sur l’islamisation des pays occidentaux et sur la violence qui serait inhérente à l’islam y sont courantes. Paradoxalement, les membres du groupe ont régulièrement recours à des discours qui proviennent de commentateurs d’extrême-droite états-uniens et européens.

Malheureusement, il s’agit là d’une percée, au Québec, de discours «homonationalistes» déjà bien présents dans certains pays, tels que les Pays-Bas, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les États-Unis. Dans le cadre de ces discours tenus par des leaders des «communautés LGBT», les personnes immigrantes (en particulier les musulmans) sont châtiées et exclues des frontières de la nation, puisque jugées essentiellement et irrémédiablement conservatrices, sexistes, homophobes, bref «non-assimilables» à «nos valeurs» modernes et progressistes. Par ces discours, les «communautés LGBT» s’associent aux discours et politiques culturalistes anti-immigration promus par des politiciens populistes. Le tout participe par ailleurs à une banalisation du racisme. Plutôt paradoxal pour des personnes LGBT qui aiment se revendiquer du progressisme…

Le plus troublant est qu’en public, aucun leader de la «communauté LGBT» ne critique les propos de M. Gagnon et de ses acolytes pour ce qu’ils sont : des propos racistes, xénophobes, islamophobes et même sexistes. Pourtant, pour qui s’intéresse à la prise de parole publique de la «communauté LGBT» québécoise sur cet enjeu, André Gagnon est actuellement le principal et presque l’unique porte-parole. Pourquoi un tel silence?

Ceci met en évidence une tendance bien plus large dans ce milieux : le rejet de toute critique, qu’elle soit interne ou externe. Certaines personnes ont osé, au cours des dernières années, exprimer une critique quelconque à l’égard des milieux gais québécois : Daniel Pinard, Denise Bombardier, Éric Barbeau, Luc Boulanger et j’en passe. Sans compter les personnes, comme Rémi Bourget, qui ont osé comparer l’orientation sexuelle avec une autre différence. Ces critiques ont été rejetées du revers de la main et jugées sans fondement.

Cette attitude est vraiment dérangeante. D’une part, ce milieu n’hésite pas à condamner ce qu’il juge comme des actes homophobes dans la société (en faisant des généralisations et en évacuant les nuances possibles entre ce qui relève véritablement de l’homophobie et ce qui relève davantage de la méconnaissance et de préjugés hétéronormatifs dépourvus de mauvaises intentions). On condamne ainsi prestement des publicités insignifiantes de pâtes alimentaires ou d’une pharmacie. Mais d’autre part, ce milieu reste muet lorsque vient le temps de condamner des propos racistes en son sein.

Les raisons de ce silence peuvent être multiples. Ce peut être simplement pour ne pas compromettre leurs intérêts corporatistes et leur relation avec le gouvernement. Mais ce peut aussi être parce que la condamnation des musulmans et du religieux y aurait une résonnance. Depuis des années, les médias gais québécois cassent du sucre sur le dos des musulmans, des immigrants et de la religion. Même dans les discours de certains leaders, il est commun de référer aux «communautés culturelles» comme si elles étaient essentiellement plus homophobes que «Nous» et qu’il fallait agir de toute urgence pour les «éduquer» à «nos valeurs». Voilà une attitude franchement néocoloniale.

Quelle que soit la raison, leur silence manifeste soit un assentiment, soit une profonde lâcheté politique et une vision corporatiste de la justice sociale. Ils veulent faire valoir leurs droits, mais ne se préoccupent guère de respecter les droits des autres. Dans d’autres pays, plusieurs militants et intellectuels LGBT ont ouvertement condamné une telle attitude qui ignore les autres problèmes sociaux, mais au Québec, en public, on se tait.

Étant moi-même gai, je devrais, selon ces personnes, croire que les musulmans (entre autres, mais surtout) menacent «mes droits». Je devrais craindre l’homme musulman, présumé homophobe, et la femme voilée, présumée soumise. Je dois avouer qu’il m’est arrivé il y a quelques années, en transit dans un aéroport britannique, de présumer que l’agente des douanes, voilée, devant laquelle je me trouvais pouvait être homophobe (alors que je n’ai pas présumé cela de l’autre agent de douanes, un homme britannique «ordinaire»). Ce type de préjugés ne devrait pas être, mais les discours racistes et xénophobes de «LGBT pour la laïcité» ont précisément pour effets d’encourager ces préjugés dangereux qui ouvrent la porte à maintes dérives.

Je crois au dialogue et au respect mutuel. Tous et toutes n’ont pas à être parfaitement à l’aise avec ce que je suis, de même que je n’ai pas à être parfaitement à l’aise avec ce que les autres sont. Mais je crois que nous pouvons partager un même espace public, nous écouter et nous respecter. C’est pourquoi le groupe «LGBT pour la laïcité» me choque profondément : pour eux, l’espace public doit être ouvert à la diversité sexuelle, mais doit être fermé à la diversité religieuse et la diversité ethnique y a droit d’être seulement si elle se conforme à «nos valeurs». C’est là une conception très limitée et pauvre du social et de la démocratie.

Note: Judith Lussier a participé à la rédaction «Opprimer pour libérer de l’oppression», un texte qui répond aussi à André Gagnon et au groupe LGBT pour la laïcité.

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