L’essence ne coûte pas assez cher

S’il était un pays, le Québec se classerait dans les dix premiers au monde pour le nombre de voitures par habitant, loin devant les États-Unis (autour du 25e rang). Et ça monte : depuis dix ans, le nombre de voitures au Québec a augmenté trois fois plus vite que la population.1

Le fait que le prix de l’essence ait atteint 1,53 $ à Montréal hier ne m’émeut pas. En fait, j’aimerais qu’il grimpe encore. Beaucoup.

Oui, je possède une voiture (une rutilante Matrix 2010, si vous voulez savoir). Si la famille s’agrandit encore, ma conjointe et moi devrons envisager l’achat d’un véhicule plus gros et plus énergivore. Pas grave, je veux payer mon essence plus cher quand même. Docteur, suis-je pétro-masochiste?

À moins de croire que le monde a été créé en sept jours, l’impact de l’humain sur le climat est un fait établi. Le parc automobile est une source considérable des émissions de gaz à effet de serre, soit près du tiers du total (en incluant les camions et les autobus). C’est simple : pour polluer moins, il faut moins d’autos, ou qu’elles roulent moins.

Pour y arriver et que ça fasse moins mal, il serait préférable que ce soit l’État qui profite d’une augmentation du prix de la taxe sur l’essence, et non les pétrolières. Une telle augmentation devrait être prévisible et graduelle. Par exemple, le gouvernement pourrait annoncer une augmentation de la taxe sur l’essence de 0,10 $ le litre par année pour les cinq prochaines années.

J’entends crier au meurtre. L’homo automobilis quebecus a en effet cette tendance à faire la file pendant trois-quarts d’heure, le moteur allumé, pour espérer sauver quelques sous à la station du coin qui a décidé de battre les prix…

Mais si on sait compter, ça représente quoi, dix cents d’augmentation par litre?

Pour un véhicule qui brûle dix litres par cent kilomètres (mettons comme un quatre cylindres pas particulièrement économique), on parle d’à peu près 300 $ par an pour le quidam qui roule 30 000 kilomètres par année. Juste assez pour faire réfléchir et, à la faveur des accumulations de ces augmentations, considérer davantage l’achat d’une Prius que celui d’un Hummer. Ou simplement de laisser tomber le V6 en option.

L’argent récolté par les hausses de taxes devrait être réservé exclusivement à l’amélioration de l’offre de transport en commun, franchement déficiente, tant à Montréal qu’à Québec. L’objectif n’est pas d’écoeurer les automobilistes, mais d’encourager les gens à changer graduellement leurs habitudes. Pour y parvenir, il faut offrir des options.

Pour ceux qui ne demeurent pas dans un grand centre, la prévisibilité de la hausse donnera le temps de s’ajuster. Ça pourra être par l’achat de véhicules moins énergivores, ou par la modification des habitudes de transport, comme l’adoption du covoiturage ou des transports collectifs pour le déplacement interurbain, comme l’autobus ou le train. Ici aussi, l’offre pourrait être améliorée (c’est à ça que devront servir les hausses de taxes, répété-je).

Ultimement, ça pourrait faire partie d’une réflexion plus globale sur le développement urbain et l’occupation de notre espace. Quand Saint-Hyacinthe commence à être une banlieue de Montréal, on a un problème…

Les solutions sont connues, il manque la volonté politique, comme c’est souvent le cas. L’alternative est de ne rien faire et d’attendre que le prix de l’essence continue de grimper à la faveur de l’augmentation de la demande de pétrole, cette dernière poussée par les pays émergents dont la nouvelle classe moyenne découvre les joies de la conduite automobile.

Le prix de l’essence va ainsi finir, de toute façon, par devenir prohibitif, et la pression sur le portefeuille sera telle que nos habitudes devront être modifiées, de gré ou de force. La différence sera qu’on ne s’y sera pas préparés et qu’on aura enrichi les compagnies pétrolières plutôt que de financer des infrastructures pour mieux se déplacer collectivement.

Et on aura continué à polluer autant. Le Québec n’est pas en voie d’atteindre les objectifs de réduction des gaz à effets de serre qu’il s’était fixés pour 2020. L’amélioration des technologies de l’automobile ne s’est pas traduite par une consommation d’essence réduite, puisque nous achetons plus de véhicules et qu’ils sont plus gros ou plus performants.

Tout ça pour dire que l’essence ne coûte pas assez cher, sinon ça ferait longtemps que nous ferions davantage d’efforts pour en consommer moins.

Vous pouvez crier, mais j’attends néanmoins avec impatience le budget qui fera passer le litre à plus de deux dollars.

Le plein d’essence à cent dollars? J’embarque.

1. La population du Québec est passée de 7 396 331 habitants en 2001 à 7 979 633 habitants en 2011, une augmentation d’un peu moins de 8 %. Pendant la même période, le nombre de véhicules de promenade (voitures et camions légers) est passé, lui, de 3 459 249 à 4 365 090, un bond de 26 %.

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