L’essence ne coûte pas assez cher – SUITE

Il y a deux semaines, le prix de l’essence a brièvement atteint 1,53 $. J’ai écrit que ça ne m’émeuvait pas, et que j’espérais au contraire que le gouvernement augmente graduellement, mais significativement, la taxe sur l’essence, et qu’on se serve de l’argent récolté ainsi pour investir massivement dans le transport en commun.

Je savais que le sujet était sensible, mais je n’aurais pas cru qu’il pouvait être si émotif.

Je tiens d’abord à clarifier un point auprès de ceux qui en ont conclu que je suis né sur le Plateau Mont-Royal, que je roule en vélo l’hiver et que j’exige une voiture électrique certifiée bio lorsque je réserve chez Communauto. Ça s’adonne que je viens d’un autre plateau, à Charlesbourg, en banlieue de Québec, où le transport en commun est assez limité en dehors des heures de pointe. Si tu veux sortir un peu, tu travailles et tu t’achètes un char. C’est ce que j’ai fait à 19 ans.

J’adore également conduire et plus particulièrement faire des détours pour brûler du gaz avec la musique dans la fond et les fenêtres ouvertes quand la route et la température se font invitantes. Je me remémore avec nostalgie mes défuntes CRX et Integra. Et je m’ennuie parfois un peu dans ma petite familiale.

Mais je pense tout de même que le prix de l’essence devrait augmenter, que l’État doive le faire par le biais de taxes avant que ça ne profite qu’aux pétrolières, qu’on se serve des sommes ainsi récoltées pour encourager les gens à délaisser la voiture en utilisation quotidienne, lorsque c’est possible, et qu’enfin on fasse en sorte que ça soit de plus en plus facile.

En plus de me traiter de plateauzaure amoureux de macramé, on m’a objecté en gros les arguments suivants, dans le désordre :

  • Il n’y a pas de transport en commun en-dehors de Montréal et Québec
  • Je reste loin de mon travail et c’est mon choix
  • C’est normal que les maisons se construisent en banlieue et que l’on prenne notre voiture pour rouler 100 km par jour
  • Je fais 45 000 km par an en hybride et je trouve que ça me coûte assez cher comme ça
  • Tant qu’à taxer, que ça serve pour les routes, et les usagers du transport en commun paieront pour eux
  • Les voitures électriques/hybrides coûtent encore trop cher
  • On pourrait à la place encourager le télé-travail
  • Je dépense déjà 100 $ par mois en essence
  • Il n’y a pas de métro en Abitibi
  • Je fais 6000 km par an, mais la hausse des prix m’agace tout de même
  • Monsieur le chroniqueur, vous êtes égoïste et ne pensez qu’à vous

Allons y un par un :

  1. Il n’y a pas de transport en commun en-dehors de Montréal et Québec

Ce n’est pas tout à fait vrai, mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas mieux s’organiser. Est-il indispensable que chaque ménage ait un, deux voire trois véhicules dans l’entrée? Le covoiturage ou la propriété collective de voitures pourraient être envisagés, même en région.

C’est aussi une question de poule et d’œufs. On ne peut certainement pas construire de métro à Saint-Georges-de-Beauce. Mais des services de proximité, comme des navettes, peuvent être envisagés pour des déplacements courants.

Le problème est que nous avons été habitués à avoir chacun notre véhicule à notre disposition en tout temps, sans compromis. Il va falloir apprendre à penser autrement. Ou payer plus cher. Je rappelle que ça va arriver tôt ou tard, et que si ça n’est pas le gouvernement, ça sont les pétrolières qui vont passer à la caisse. On peut seulement décider où va aller l’argent.

Je suis aussi ouvert à une forme de taxation différenciée selon la disponibilité du transport en commun, de laisser le temps aux gens de s’ajuster et de planifier en conséquence, de moduler la taxe autrement ou d’accorder des aides ciblées à des ménages défavorisés. Mais le message doit être clair, à Terrebonne, à Chambly ou en Beauce : on doit envisager nos transports individuels autrement.

  1. Je reste loin de mon travail et c’est mon choix

Oui, mais ce n’est pas le mien, et vous coûtez cher. En essence pour vous, mais en routes, en pollution, et en éparpillement urbain pour nous tous. Augmenter graduellement le prix de l’essence tout en favorisant le développement des transports en commun est une façon de pousser les gens vers d’autres modes de déplacement, et aussi d’encourager un modèle urbain qui n’est pas centré sur la voiture. Parce qu’à long terme, notre mode de vie est insoutenable.

Mais au fond, vous avez peut-être raison. Ça ne changera peut-être rien pour nous. Mais je regarde ma fille de vingt mois, et je me sens un peu coupable pour la merde que je vais lui laisser à elle, sinon à ses enfants.

  1. C’est normal que les maisons se construisent en banlieue et que l’on prenne notre voiture pour rouler 100 km par jour

C’est exactement ça le point. Voir plus haut. Un mode de vie dans lequel chacun possède son château à Saint-Bruno et deux VUS sur le pavé uni n’est pas viable à long terme. J’aimerais vous dire que ça l’est, mais je mentirais. Et, non, ce n’est pas normal. On a simplement été habitués à penser comme ça.

  1. Je fais 45 000 km par an en hybride et je trouve que ça me coûte assez cher comme ça

Votre voiture doit consommer à peu près cinq litres aux cent kilomètres (à moins qu’il ne s’agisse d’un VUS hybride), ce qui représente à peu près 2250 litres par an. Une augmentation de 10 cents le litre de la taxe d’essence se traduirait par une hausse de 225 $ la première année, 450 $ la suivante, et ainsi de suite. Ça ne me semble pas déraisonnable. Personnellement, je suis prêt à payer plus pour le bien collectif.

  1. Tant qu’à taxer, que ça serve pour les routes, et les usagers du transport en commun paieront pour eux

On ne développera jamais de réseau de transport en commun avec de tels raisonnements. Le but est justement de rendre la voiture moins attrayante, et le transport en commun plus attrayant. Bien sûr, il faut augmenter l’offre de transport en commun et la rendre accessible.

  1. Les voitures électriques/hybrides coûtent encore trop cher

Ça s’en vient. Déjà, Toyota offre une petite version de la Prius à un peu plus de 22 000 dollars. L’offre va augmenter au cours des prochaines années, et l’accessibilité aussi. Et l’augmentation de la taxe telle que proposée n’atteindrait son plein niveau que d’ici cinq ans. Ça donne le temps.

  1. On pourrait à la place encourager le télé-travail

Bien sûr, et ça peut s’additionner au reste. Personne n’est contre la vertu!

  1. Je dépense déjà 100 $ par mois en essence

Est-ce que dépenser 10 $, 20 $ ou 30 $ de plus ferait un si grand trou dans le budget?

  1. Il n’y a pas de métro en Abitibi

Ça va dans les deux sens. Il n’y a pas, non plus, une population assez dense pour supporter les infrastructures routières qui ont été construites dans votre coin de pays. Autrement dit, ce sont essentiellement de méchants citadins qui ont payé pour ça. Le Québec est un projet collectif. Si on se limite à payer chacun pour nos petits besoins, on n’ira pas loin.

  1. Je fais 6000 km par an, mais la hausse des prix m’agace tout de même

Je vous soumets respectueusement que le prix de l’essence peut bien monter, que ça ne fera rien d’autre que vous agacer.

  1. Monsieur le chroniqueur, vous êtes égoïste et ne pensez qu’à vous

Vous, par contre, vous m’avez bien saisi!

***

Plusieurs commentaires tournaient autour du coût additionnel, comme s’il s’agissait d’une ponction de sang ou d’un rein. Pourtant, comme je l’ai expliqué, une augmentation de dix sous par année, cumulée, pour l’automobiliste roulant 30 000 km avec une consommation de 10 litres aux 100 km, reviendrait à une augmentation de 300 $ la première année, 600 $ la seconde, et ainsi de suite. Ça ne m’apparait pas scandaleux, compte tenu des enjeux (et, non, je ne fais pas partie de ces contribuables chanceux qui verront leur taux d’imposition augmenter à la suite de la hausse décrétée par le gouvernement de Pauline Marois).

Mais ça nous hérisse. C’est comme si, prisonniers de notre dépendance, on s’en ressentait encore plus victimes, encore plus floués.

Ça ne serait pas une bonne raison pour s’en guérir au plus sacrant?

Oui à des tarifications différenciées, au télé-travail, à plus de train, de métro, de covoiturage, à des hybrides moins coûteuses, et à toutes sortes de mesures qui vont nous aider à réduire la pollution et préserver notre environnement. Je suis même négociable quant à l’ampleur de la hausse. Mais ça prend un électro-choc pour nous faire sortir de notre torpeur, qui devra être initié par de l’essence qui coûtera plus cher de façon durable, parce que les vieilles habitudes ont la vie dure.

Qu’on se fasse dire que la banquise va disparaître ou que l’espèce humaine est en péril à long terme, on hausse les épaules. Touchez au prix de l’essence par contre, et vous vous exposez presque à un soulèvement populaire. Mais, au moins, les gens se remettent un peu en question, comme l’explique Judith Lussier sur le blogue d’Urbania.

Au-delà du prix à la pompe, c’est notre capacité à accepter de faire des sacrifices et de modifier nos habitudes pour le bien commun qui est en cause.

***

Note : D’autres lecteurs ont noté un aspect critique et particulièrement stupide de notre utilisation du pétrole : on en a besoin pour faire des plastiques et des médicaments. Comme la ressource existe en quantité limitée, c’est encore plus bête de la brûler pour se déplacer…

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.