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Dawson: la cybersurveillance pour arrêter un tueur?

Kimveer Gill, of Laval, north of Montreal is shown in this undated photo taken from a website. Gill is being named as the gunman in the Dawson College shootings by the Montreal La Presse newspaper. A trenchcoat-clad shooter with a scowl and a Mohawk haircut turned a college cafeteria into a combat zone with a commando-style assault that left him and a young woman dead Wednesday. (CP PHOTO) Photo: Archives Métro

MONTRÉAL — Le tireur qui a fait un mort et 16 blessés au Collège Dawson le 13 septembre 2006 avait tenu des propos inquiétants sur le site internet VampireFreaks et sur son blogue, en plus d’y afficher des photographies le montrant avec tout son attirail de guerre avant de se rendre lourdement armé au cégep montréalais. Avec les avancées technologiques effectuées depuis 10 ans, une cybersurveillance efficace pourrait-elle empêcher une autre tragédie de se produire?

La question se pose, car Kimveer Gill n’était pas étudiant au Collège Dawson. Son comportement n’aurait pu y être décelé. Mais il avait laissé des traces de son état troublé et de ses pensées violentes sur internet.

Selon des experts en cybersurveillance, tenter d’arrêter une personne qui annonce son intention de tuer sur le web, en surveillant les sites internet, est un «défi herculéen» et équivaut «à tendre des filets pour attraper des comètes».

La tâche n’est pas impossible, souligne le professeur Stéphane Leman-Langlois, mais les ressources policières requises seraient alors considérables.

Des recherches automatisées effectuées par des robots sont aussi possibles pour surveiller une masse d’information sur le web, dit M. Leman-Langlois, professeur à l’École de service social de l’Université Laval, aussi titulaire de la Chaire de recherche du Canada en surveillance et construction sociale du risque. Mais les robots décèlent des mots ou certaines informations isolées: cela prend encore des humains pour les traiter et les enquêtes policières sont nécessaires, dit-il.

«Cela devient alors plus un choix de société qu’une analyse de statistiques», dit-il.

Est-il réaliste d’affecter autant de ressources pour un nombre restreint de cas où une personne qui profère des menaces sur internet passe bel et bien aux actes, se demande M. Leman-Langlois.

Le professeur de criminologie Benoit Dupont, de l’Université de Montréal, aussi titulaire de la Chaire du recherche du Canada en sécurité, identité et technologie, est du même avis: la tâche serait un défi digne d’Hercule.

Réalisable? «De le détecter de façon réelle à l’avance, avec un taux suffisant de fiabilité et en évitant tout le bruit qui peut être généré par toute l’information mise en ligne, à l’heure actuelle, probablement pas», dit-il.

«La technologie a beaucoup évolué, mais il y a d’autres choses qui ont évolué et qui font que ça reste beaucoup plus difficile. Par exemple, la quantité d’informations qu’on devrait surveiller en permanence est tellement grande que probablement que ça dépasse les capacités de traitement des services de police», précise-t-il.

Dix ans plus tard, on n’a pas beaucoup progressé, selon M. Dupont.

Dans le cas des unités de cybersurveillance créées pour mettre la main sur les pédophiles — comme l’a fait la Sûreté du Québec (SQ) — la situation est très différente, indiquent les deux experts, car les pédophiles se retrouvent à certains endroits communs sur le web. «Il y a des noyaux qui peuvent être surveillés», dit M. Leman-Langlois.

Le coroner Jacques Ramsay, qui a rédigé en 2008 le rapport sur la tuerie de Dawson, est d’avis qu’il serait «naïf» de croire que les policiers, à l’aide d’une unité de cybersurveillance, puissent analyser des millions de pages, de sites, blogues, sites de clavardages et courriels.

Et comme Kimveer Gill a soutenu en ligne que son blogue était surveillé par la police, il a parfois suggéré à ses lecteurs de lui envoyer les messages plus explicites en utilisant une fonction privée. «Il est donc réaliste de penser que dans l’éventualité où il ait effectivement communiqué des plans homicidaires, il ait fait de même», écrit le coroner dans son rapport.

Il croit que le repérage ne peut être fait que par les individus qui reçoivent des courriels contenant des propos inquiétants ou violents ou ceux qui fréquentent les sites ou blogues.

«Tout comme on apprend désormais aux jeunes à ne pas traiter à la légère les propos suicidaires prononcés par leurs amis, il faut aussi les inciter à ne pas prendre à la légère les menaces, même imprécises, à l’endroit d’autres personnes identifiées ou non. Ces menaces doivent être signalées et faire l’objet d’enquêtes par les autorités appropriées», souligne le coroner.

Selon le professeur Dupont, il est facile après un geste violent de consulter les traces sur internet d’un tueur et d’y voir des signes avant-coureurs. Mais de les détecter avant est beaucoup plus difficile.

Et puis, même si la technologie va éventuellement se raffiner et permettre une surveillance d’internet encore plus étendue et plus efficace, le résultat ne serait pas forcément souhaitable, prévient M. Leman-Langlois. On vivrait alors dans un État policier, «un monde de surveillance totale» où les citoyens seraient surveillés de toutes les façons possibles: le son, leurs écrits, leurs images.

«Le remède serait pire que la maladie», juge le professeur.

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