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Ville sanctuaire: les sans-abri inquiets

Photo: Mario Beauregard

Les itinérant montréalais trouvent «injuste» la volonté municipale de venir en aide aux réfugiés et immigrants illégaux dans le cadre de la désignation de Montréal «ville sanctuaire».

Ce dimanche matin, Steve-Emmanuel a le sourire. Âgé de 34 ans, ce natif de New-York s’apprête à arpenter à nouveau les rues montréalaises le ventre plein, comme près de 500 autres itinérants venus ce même jour à l’Accueil Bonneau. Profitant d’un couscous kabyle préparé pour l’occasion par le Centre Amazigh, Steve-Emmanuel, arrivé au Québec en 2008, raconte son parcours, parle de son «amoureuse», de «Dieu qui me protège» et de «Donald Trump, ce raciste».

Loquace, Steve-Emmanuel bavarde, interpelle un intervenant de ce centre qui accueille chaque jour des centaines de personnes vivant en situation d’itinérance, puis fixe la télévision installée à l’étage de l’Accueil Bonneau, passage obligé pour rejoindre les salles du bain ouvertes à tous les visiteurs. Devant l’écran fixé au mur, une quinzaine de sans-abri gardent une oreille attentive aux nouvelles diffusées au même instant.

«Une forme dinjustice»
Ces derniers jours, devant ce poste, les discussions ont été animées. Lundi dernier, alors que le maire de Montréal, Denis Coderre, désignait Montréal, «ville sanctuaire», les avis étaient partagés. «C’est une bonne idée», raconte Steve-Emmanuel, au sujet de cette déclaration visant à permettre aux sans-papiers de bénéficier de différents services publics sans prendre le risque d’être expulsés du territoire. «C’est des êtres comme tout le monde. Tout le monde doit être aidé», complète-t-il.

Ce sentiment, pourtant, ne fait pas l’unanimité dans les rangs des sans-abri. Loin de là, à en croire les intervenants de ce centre de jour créé en 1877. «Il y a beaucoup de frustration, dévoile Kim Boisjoli-Hamel. Déjà, lorsque des réfugiés syriens sont arrivés, des sans-abri se sont sentis brimés. Ils estimaient que d’autres avaient des passe-droits, mais pas eux. Ils avaient peur que ces réfugiés aient un logement social avant eux.»

Ces derniers jours, le ton serait monté, indique Alfred Saint-Jean, présent chaque fin de semaine à l’Accueil Bonneau. «Ils ont ressenti une forme d’injustice en apprenant que la Ville allait aider les immigrés sans-papiers et d’autres réfugiés», précise-t-il. «Devant la télé, j’en ai entendu beaucoup dire «ces gens vont venir nous prendre nos opportunités». Ils se plaignent et s’imaginent qu’ils vont prendre leur place», appuie quant à lui Robert Beaupré.

Sensibiliser et rassurer
Face à cette volonté initiée par le maire Coderre, les intervenants ont été contraints d’adapter leur discours. Sensibiliser et rassurer, tel semble être désormais le mot d’ordre. «S’ils ont l’esprit fermé, s’ils tiennent des propos xénophobes ou racistes, c’est à nous d’intervenir, explique Robert Beaupré. C’est notre rôle, en tant qu’intervenant, de leur parler, d’entretenir la conversation et de leur faire comprendre que ces réfugiés ne désirent pas cette situation.»

Un message qui, parfois, semble difficile à faire passer auprès des itinérants à l’histoire différente, mais toujours difficile, souffrant majoritairement d’isolement social, de problèmes de santé mental ou de toxicomanie. «C’est très dur, ils sont très entêtés», reprend l’intervenant, casquette vissée sur la tête. «On leur dit de diriger leur colère sur d’autres sujets, comme la mauvaise répartition des richesse par exemple. Il faut leur faire comprendre que ces réfugiés ont besoin d’aide, que le problème, ce n’est pas eux», complète Alfred Saint-Jean, également travailleur social au CLSC de Verdun.

Si ces intervenants saluent unanimement la volonté municipale, ils attendent désormais des actes forts. «C’est un bon coup marketing pour le maire, mais il faut creuser plus loin», estime Alfred Saint-Jean, ajoutant avoir «une petite réserve».

Ce dernier met en avant la volonté de créer et préserver un lien de confiance, sans donner de faux espoirs. «Les personnes sans-abri ont déjà du mal à s’ouvrir. On peut prendre des mois pour gagner leur confiance. Lorsqu’on rencontre des itinérants sans-papiers, c’est encore plus difficile. Garder ce lien, c’est précieux. Si on veut les aider, il faut développer une politique d’ouverture avec toutes les institutions publiques, leur offrir un moyen de travailler. Il faut se donner les moyens.»

Désormais vide, l’Accueil Bonneau s’apprête à fermer ses portes. Le lendemain, Steve-Emmanuel et ses compagnons d’infortune reviendront. Avec, certainement, de nouvelles interrogations.

La Ville de Montréal n’a pas souhaité commenter dimanche au sujet de cet enjeu.

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