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Haroun Bouazzi: «Il ne suffit pas de chanter créole pour valoriser la diversité»

Photo: Josie Desmarais

Ravi de voir les principaux partis municipaux montréalais présenter de nombreux candidats issus des minorités visibles, le coprésident de l’Association des musulmans et des arabes pour la laïcité au Québec, Haroun Bouazzi, se montre néanmoins sceptique face au bilan de l’administration Coderre en matière de diversité. Mais il n’épargne pas non plus Projet Montréal.

La diversité est-elle un enjeu de ces élections à Montréal?
Clairement ! Mais même si c’est un sujet plus présent qu’aux dernières élections [en 2013], on n’en parle pas énormément. Pourquoi? C’est une bonne question. Il y a un manque de sensibilité évident sur ces questions-là. Pourtant, avec tout ce qu’il s’est passé durant cette année difficile, ça aurait dû l’être. Il y a eu l’attentat de Québec, les manifestations, les débats sur la commission sur le racisme systémique. J’aurais bien aimé voir un débat sur tous ces sujets entre les candidats.

Équipe Coderre et Projet Montréal ont néanmoins mis de lavant de nombreux candidats issus des minorités visibles
Il est certain que les débats qu’on a pu imposer dans la société civile depuis un an ont joué un rôle. Ces partis ont fait des efforts et la lutte pour l’égalité devient un enjeu, et tout le monde y gagne. Mais je ne suis pas vraiment satisfait.

Pourquoi ?
Si on analyse vraiment les circonscriptions, on voit bien que les châteaux forts, comme ceux de Projet Montréal, ne sont pas très diversifiés. Il n’y aucune minorité parmi leurs candidats sur le Plateau ou à Rosemont. Même si je comprends qu’ils n’ont pas beaucoup de châteaux forts et que c’est un risque, je leur fais ce reproche. Soit on joue vraiment la carte, soit on ne la joue pas. C’est un peu pareil chez Équipe Coderre. C’est sûr que, lorsque tous les élus en place sont blancs, c’est difficile de les enlever, mais attendons les résultats avant d’être fâché. [Sourire]

Pensez-vous que le prochain conseil municipal sera plus représentatif?
Puisqu’il y a tellement de candidats [issus des minorités visibles], je pense qu’ils seront plus nombreux. Il y a peut-être des candidats poteaux, mais si on passe déjà de 3% à 15% des élus, ce serait déjà un énorme pas en avant. Même si ça devient un concours entre les partis pour savoir qui aura le plus d’élus des minorités, je les applaudis.

«Il faut expliquer aux jeunes et aux minorités visibles qu’ils sont les bienvenues chez les pompiers et les policiers. Il faut que ces institutions soient à l’image de notre société.» – Haroun Bouazzi, coprésident de l’Association des musulmans et des arabes pour la laïcité au Québec

Comment jugez-vous le bilan de ladministration sortante en matière de diversité?
Même s’il y a eu la création du module sur les incidents et crimes haineux [au Service de police de la Ville de Montréal, en 2016,] qui fait une certaine différence, il est assez mauvais. Le nombre de minorités visibles comme employés de la Ville augmente à pas de tortue. Il n’y a que 12% de minorités visibles, alors qu’on en trouve 30% à Montréal. C’est ridicule. Chez les pompiers, c’est pire: il n’y en a que 12. C’est difficile de défendre un tel bilan, donc [Denis Coderre] préfère ne pas en parler.

Quels engagements souhaitez-vous de la part des candidats à la mairie ?
Il faut améliorer la représentativité parmi les personnes en position d’autorité. Actuellement, il n’y a que quatre élus issus des minorités visibles sur 103. Pour une ville comme Montréal, c’est assez ridicule. Il faut aussi des objectifs chiffrés pour l’emploi et expliquer pourquoi est-ce qu’on n’y est pas arrivé avant. Peut-être faudrait-il réfléchir à d’autres solutions de recrutement.

Faut-il changer la méthode de recrutement?
La méthode de recrutement est probablement déficiente. Pourtant, à la Société de transport de Montréal (STM), il y a eu, en très peu d’années, de réels efforts. Lorsqu’on monte dans un bus ou un métro, on voit bien que le conducteur ressemble de plus en plus à la population qui utilise les transports. Il n’y a pas de solutions parfaites. Mais on pourrait s’obliger à se donner des quotas.

Quels genres de quotas?
Il faudrait s’imposer des quotas pour les entrevues. On pourrait s’assurer que, pour chaque poste ouvert, on reçoive au moins une femme et homme racisés. C’est le minimum. Ce serait une action positive. On sait qu’il y a des biais inconscients, des réseaux d’amis. Mais il faut aussi chercher à comprendre pourquoi il y a peu de minorités chez les pompiers et les policiers.

Pourquoi, selon vous, ces professions peinent à diversifier leurs effectifs?
Elles peinent même à garder certaines personnes qui partent en burn-out à cause du racisme qu’elles vivent. Il va falloir pousser dans les quartiers défavorisés, faire de la publicité afin que l’on ne se retrouve pas ensuite à dire «pour les entrevues, il n’y a que des blancs, on est désolé». Ça ne suffit pas comme réponse. Lorsque j’étais à Polytechnique, il y avait plein de publicités pour entrer dans l’armée. Ce serait important que la police aille dans les écoles de ces quartiers pour expliquer leur métier et dire que ça peut aussi rapporter beaucoup d’argent.

Pensez-vous à la possibilité de voir bientôt un maire de Montréal issu des minorités visibles?
C’est très, très possible. Ce qu’il faut, c’est réussir à attirer les jeunes à la chose publique. Tant que le conseil municipal sera entièrement blanc, ce sera difficile d’expliquer à ces jeunes que la cause publique leur appartient. Lorsqu’ils vont voir des élus qui leur ressemblent, ils vont se lancer. Moi, j’y crois profondément. Ça va arriver plus vite que prévu.

«Les Montréalais sont prêts à élire un maire issu des diversités. On croise la diversité dans la rue, même si on ne la voit pas à la télé ou dans les instances politiques.» – Haroun Bouazzi, coprésident de l’Association des musulmans et des arabes pour la laïcité au Québec

Dici combien de temps?
Dans moins de dix ans. En tout cas, ce n’est pas Coderre. [Rires] Je rappelle que Coderre nous a dit qu’il était le premier maire haïtien blanc. Je pense que c’est un bon exemple de racisme structurel.

Nest-il pas à lécoute des différentes communautés?
Je juge les gens sur les actes et les politiques publiques. Concrètement, par rapport aux minorités, qu’est-ce qu’il a fait ? Lorsqu’il a été question d’un référendum sur des lieux de culte, des synagogues ou des mosquées, il a beaucoup fait le sous-marin. Manger du couscous ou du grillot, boire du thé, chanter créole ou danser le kompa, ça ne suffit pas pour valoriser la diversité.

Denis Coderre a néanmoins promis davoir un comité exécutif plus représentatif, en cas de succès
C’est très bien qu’il ait découvert ça maintenant, il n’est jamais trop tard. Mais je juge le bilan sur le passé et non sur l’avenir. Souvent, les politiciens sont déconnectés d’une partie de la population. Il ne faut pas croire non plus qu’on règle le problème de la représentativité ainsi, il faut des politiques pour lutter à la fois contre le racisme, mais aussi contre la pauvreté. J’aimerais vraiment que la prochaine administration s’engage, par exemple, à avoir un plan d’action pour lutter contre le racisme systémique.

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