Il reste beaucoup à faire pour lutter contre le profilage racial, selon une étude
«Ils m’ont déjà traité de sale nègre. Ils m’ont dit de retourner dans mon pays. Ils m’ont traité de singe, d’orang-outan, de plein d’affaires». Ces insultes racistes ont été proférées par un policier à un homme noir du quartier Saint-Michel.
Ce témoignage fait partie des dizaines d’histoires recueillies dans le cadre d’une étude d’une ampleur inédite sur le profilage racial, qui a été dévoilée mardi. Pendant trois ans, une équipe de chercheurs a colligé des expériences de 48 jeunes du quartier de Saint-Michel à Montréal pour rassembler des données qualitatives sur le profilage racial, une situation reconnue par la Ville et le Service de police de la ville de Montréal (SPVM), mais qui est sous-documentée.
Des jeunes de Saint-Michel ont ainsi raconté aux chercheurs la pression exercée par la police, les arrestations abusives, la violence et les insultes racistes, subies sans aucune raison.
«Parfois, on est juste là au parc. Ils vont commencer à faire des tours. Comme si y avait (sic) de quoi de suspect qui va préparer quoi que ce soit, mais pourtant, nous on est juste là», a témoigné un participant.
L’étude dénonce surtout les politiques du SPVM et la lutte aux gangs de rue qui serait, selon les chercheurs, vecteur de profilage racial, alors qu’aucune donnée ne montre que la délinquance juvénile est plus répandue auprès des jeunes noirs.
«Je connais du monde qui s’est fait arrêter alors qu’ils [la police] cherchaient quelqu’un d’autre. Ça, ça arrive quand même souvent. C’est au poste qu’ils réalisent qu’ils ont arrêté la mauvaise personne» – Extrait d’un témoignage
«Ce que nous avons identifié, c’est que la lutte aux gangs de rue et aux incivilités à Montréal sont deux politiques qui pénalisent plus sévèrement les jeunes noirs, les jeunes latinos et les jeunes racisés en général», a déclaré la chercheuse et post-doctorante à Harvard, Anne-Marie Livingstone, une des coordonnatrices de l’étude.
La chercheuse a aussi tenu à rappeler que la notion de «gangs de rue», importée des États-Unis, avait un sens mal défini au Québec et peu cohérent avec la réalité de la province.
«Ces pratiques-là induisent les policiers à agir sur les bases raciales. Tant qu’on n’aura pas éradiqué les politiques elles-mêmes qui visent les jeunes racisés ou qui ont un impact disproportionné sur eux, on n’arrêtera pas le profilage», a-t-elle fait valoir.
«Les mesures mises en œuvre pour diminuer le profilage racial ne prennent pas le problème suffisamment au sérieux. On a besoin d’actions plus concrètes et plus ambitieuses pour régler ce problème qui affecte les gens dans les quartiers comme Saint-Michel», a déclaré le chercheur Ted Rultand, qui a coordonné cette étude.
L’étude recommande que soit créé un organisme de surveillance indépendante de la police pour se pencher sur la question du profilage racial et analyser les données liés aux arrestations. Ces données devraient d’ailleurs être rendues publiques, selon les chercheurs. Ils préconisent aussi d’arrêter les programmes qui visent les jeunes des minorités visibles, comme la guerre aux gangs de rue.
Le chef du poste de quartier 35 dans Rosemont et mandataire du dossier du profilage racial au SPVM, Éric Soumpholphakdy, a indiqué à Métro que la lutte aux gangs de rue n’est plus la stratégie privilégiée depuis la dernière année.
«On ne veut plus travailler sur l’individu, mais sur les comportements. Peu importe le citoyen, on va voir son comportement criminel et non pas criminaliser une bande de jeunes en fonction d’une allégeance quelconque, c’est comme ça qu’on voit notre approche», a-t-il précisé à Métro. Le SPVM dévoilera sa stratégie pour lutter contre le profilage racial le 11 décembre prochain.
La Ville de Montréal n’a pas souhaité commenter cette étude.