Soutenez

Philippe Poullaouec-Gonidec: «Une ville se construit avec des idées»

Photo: Denis Beaumont/Métro

Montréal doit embrasser son caractère hétérogène et prendre des risques sur le plan du design urbain. Le pont Champlain ne doit pas être vu comme un simple objet, mais bien comme une expérience d’entrée en ville unique. Discussion avec Philippe Poullaouec-Gonidec, titulaire de la Chaire UNESCO en paysage et environnement de l’Université de Montréal.

À Montréal, il y a le fleuve et la montagne. Au-delà de ça, comment se définit le paysage?
Le paysage, ce ne sont pas seulement des emblèmes, mais aussi des scènes du quotidien. Le paysage montréalais est donc très diversifié. L’individu se reconnaît dans une communauté, un voisinage. Montréal permet cette appropriation du paysage local. Les Montréalais valorisent leur environnement rapproché mais, souvent, ils ont un point de vue différent sur le paysage global de la ville. On entend souvent dire que Montréal est laide…

Pourquoi?
Parce qu’elle est hétérogène. C’est dans la nature de l’être humain de vouloir mettre de l’ordre. Dans ma maison, je peux vivre dans le désordre, mais dès que je sors, je veux que ce soit bien ordonné, propre, sécuritaire… Mais c’est aller à l’encontre de l’âme de Montréal, qui est hétérogène, diversifiée.

Parlons des paysages d’entrée (pont Champlain, corridor aéroport–centre-ville). Est-ce que les décideurs comprennent l’importance de ces espaces?
Je me pose des questions. Avec la Chaire en paysage et environnement de l’Université de Montréal (CPEUM), nous avons travaillé pendant deux ans à requalifier l’entrée de ville, de l’aéroport au centre-ville [le projet YUL-MTL]. Avant notre arrivée, les acteurs territoriaux (arrondissements, Ville, CN, CP, Québec, Ottawa) ne se parlaient pas. Nous avons rapidement trouvé un consensus, en plus de définir une vision qui tenait la route pour démontrer l’importance de cette entrée internationale et historique. Nous avons déposé un rapport, mais il n’y a pas eu de suivi. Ce n’est pas sérieux!

On est revenu au travail en silo?
Oui. Il manque un porteur de ballon. Il faut que quelqu’un – la Ville, l’agglomération métropolitaine, la CMM, Québec – porte ce projet. Même chose avec Champlain. On travaille trop en silo. Le fédéral vient de pondre une proposition pour le futur pont, mais on le présente comme un objet et non une expérience. Le parcours d’entrée qu’on propose est trop petit et ne prend pas en considération ce qu’il y a après et avant le pont.

À quoi doit ressembler une expérience d’entrée de ville?
L’entrée d’une ville, ce n’est pas qu’une infrastructure autoroutière, ce n’est pas qu’une porte. C’est un corridor, c’est un projet de territoire. Une entrée de ville doit offrir une expérience claire. C’est quoi cette ville? Dès que l’on sort de l’aéroport, il faut se dire «Wow! Je suis à Montréal. Je saisis la signature de cette ville.» Nous avons tout le talent ici pour scénariser cette entrée de ville. Parce qu’une entrée, c’est comme un film. Ça prend un scénario.

Est-ce que ce que l’on propose pour le futur pont Champlain est montréalais?
Non. Rien ne me rappelle Montréal dans ce projet et rien ne fait que ce pont se distingue des autres ponts haubanés dans le monde. De plus, les piliers sont d’une lourdeur incroyable. On a loupé une belle occasion de s’offrir un projet distinctif en refusant d’aller en concours international.

Est-ce que ce nouveau pont s’intégrera bien dans le paysage?
Je n’aime pas trop le terme «intégration». S’intégrer, c’est se fondre dans quelque chose. Je préfère l’esthétique du contraste. Quand le centre Pompidou a été créé dans l’un des quartiers les plus anciens de Paris, nous avons compris qu’il y avait un patrimoine autour. L’intégration, c’est tenter de trouver l’harmonie, et ça nous force à rester dans le beige.

[pullquote]

Montréal, pourtant une ville UNESCO de design, est-elle souvent trop beige dans ses grands projets?
Oui. C’est toujours le même argument: un concours international coûte trop cher… On a peur. Les décideurs sont frileux. On ne veut plus d’éléphants blancs comme le Stade olympique, mais le débat n’est pas là. Un projet spectaculaire n’est pas nécessairement coûteux. Il faut se donner les outils pour prendre davantage de risques.

Quelle ville fait bien les choses?
On pourrait toujours prendre l’exemple des villes nordiques, mais il faut être prudent avec les comparaisons, parce que chacun a sa propre culture. On ne peut donc pas se comparer à Copenhague. Ce qui m’attire, ce sont les pays qui ont développé des politiques de concours pour les bâtiments et les ouvrages publics. Généralement, ça donne une architecture et du design urbain de qualité. Ceux qui vont vers des appels d’offres classiques retiennent deux ou trois firmes et choisissent la plus basse soumission. Ce n’est pas comme ça qu’on fait une ville. C’est clair que la qualité en souffre. Ce n’est pas non plus la solution pour créer une relève chez nos créateurs. Le concours, c’est la seule porte d’entrée pour les jeunes bureaux. C’est sur eux qu’il faut miser. Présentement, Montréal se construit à travers deux ou trois firmes. Ce n’est pas normal. Une ville ne devrait pas se construire avec des firmes, mais avec des idées!

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.