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Michèle Ouimet, à la recherche de liberté

Photo: Alain Roberge/collaboration spéciale

Michèle Ouimet s’est rendue dans plusieurs pays où la situation était difficile au cours de ses 25 années à La Presse: le Rwanda, Haïti, le Japon post-tsunami, pour ne nommer que ceux-là. Elle lance aujourd’hui son premier roman, inspiré de ses séjours en Afghanistan.

Pourquoi avoir écrit un roman au lieu d’un récit tiré de votre expérience de journaliste?
J’avais envie d’être libérée des contraintes du journalisme. Avec un essai, on est toujours davantage collé sur l’actualité. Il faut écrire assez vite pour être certain que le sujet soit encore chaud. Ensuite, il y a plein de contraintes liées à la vérité. Donc, c’est pour ça que j’ai décidé de faire de la fiction, parce que je voulais me sentir libre. C’est comme si, depuis 25 ans, j’avais un couvercle sur la marmite. Là, j’ai décidé de faire sauter le couvercle. J’ai trouvé ça extrêmement libérateur. J’ai adoré ça.

Pourquoi situer une partie de l’action en Afghanistan, alors que vous avez été envoyée dans plusieurs pays qui ont connu des situations difficiles?
J’ai un attachement particulier pour l’Afghanistan. La première fois que j’y suis allée, c’est en 1996, quand les talibans ont pris le pouvoir. Ça ne s’est pas très bien passé. Puis, je me suis dit, quand je suis partie : «Je ne reverrai probablement plus jamais ce pays». Et là, il y a eu le 11 septembre. Je suis retournée sept fois en Afghanistan. J’ai vraiment un attachement pour ce pays, qui est beau, sauvage, farouche; qu’aucune puissance occidentale n’a été capable de dompter. La situation des femmes m’a beaucoup touchée. J’avais envie de parler de tout ce que je n’ai pas pu parler dans mes reportages. C’est un peu, si on veut, un condensé des fem­mes afghanes que j’ai connues, comme base, mais pour le reste, je l’ai inventé. C’est vraiment mes personnages.

À un moment, le personnage de Louise dit quelque chose comme: «On ne veut plus parler de l’Afghanistan, les lecteurs et les patrons sont blasés». Est-ce que votre roman est aussi une façon de parler à nouveau de ces réalités qu’on a peut-être un peu oubliées?
En fait, une guerre en chasse une autre. Alors… Là, on parle de la Syrie. Et après la Syrie, ce sera autre chose. On oublie ces pays, mais ils continuent de vivre. C’est sûr que, sur le plan journalistique, il y a moins d’intérêt à aller en Afghanistan. Le Canada s’est retiré en juillet. Le reste des puissances occidentales vont à peu près toutes se retirer sauf 12 500 soldats, surtout Américains, qui vont rester en 2015.

Mais pour que ce pays ne tombe pas dans l’oubli… Un oubli normal. Parce qu’on a tellement de guerres, de tsunamis, de catastrophes naturelles à fouetter que c’est sûr qu’on oublie. On va oublier ce pays là. Comme on a oublié les autres pays qui ont été dans des crises. On a oublié le Darfour, dont on ne parle plus. La République Centrafricaine, qui est tout près, dont on ne parle plus non plus. Haïti, dont on ne parle plus. C’est normal. On en parle quand le quotidien se détraque, quand il y arrive une catastrophe. On ne dit pas: «Bon bien aujourd’hui tout allait bien en Haïti».

Louise veut aider une jeune femme Afghane. C’est une situation complexe pour une journaliste. Pourquoi vous êtes-vous intéressée à cette relation, cette «promesse», qui est de l’aider quand elle vient au Canada?
Quand on est dans des pays en guerre, dans des camps de réfugiés, on se fait demander «est-ce que c’est possible d’immigrer au Canada, est-ce que vous pourriez m’aider pour immigrer au Canada?». On est peut-être tentés [de dire oui]. Je pense qu’il faut être franc et dire «non». Non, ce n’est pas possible. Je ne peux pas vous aider, mais par exemple, je peux raconter votre histoire.

C’est tentant de dire oui. La personne coopère davantage pour donner une entrevue et après, on l’oublie. Je pense qu’il ne faut pas faire cette promesse là. Et je me suis dit, imagineons un personnage qui fait cette promesse là, mais qui n’est pas capable de la tenir. Mais c’est déchirant quand on quitte parce qu’on s’attache aux gens.

L’amie de Louise, Carole, travaille dans le milieu politique municipal. Vous avez aussi couvert ce sujet. Est-ce que ce volet est aussi inspiré de ce dont vous avez été témoin?
En fait, ce que je voulais faire, c’est parler de ce que je connais, donc l’Afghanistan, le milieu municipal et tout ça. Et inventer des personnages à partir de ce terreau là, que je connaissais. Mais, évidemment, comme toute journaliste, j’ai fais des entrevues. J’ai fait des entrevues d’Afghanes qui sont ici à Montréal, je leur ai demandé «C’est comment, partir d’Afghanistan, prendre l’avion, arriver à Montréal?». J’ai fait des entrevues avec des anciens attachés de presse et des chefs de cabinet, pour leur dire «Coudonc, vous, de votre côté, vous pensez quoi des journalistes? Vous les voyez comment?». J’avais envie de voir cet autre côté là. L’espère de mur d’incompréhension entre les journalistes et eux.

Donc, à partir de ce qu’on m’a raconté du côté des chefs de cabinet et des attachés de presse, j’ai pu créer mes personnages, fictifs, mais basés sur des faits.

Qu’est-ce qui attend les femmes en Afghanistan, d’après vous?
En fait, c’est un pays complexe, donc c’est peut-être un peu présomptueux de ma part de créer des personnages afghans. Mais je pense qu’il y a une différence entre les grandes villes, Kaboul, entre autres, et le reste du pays. De tous les pays où j’ai séjourné, c’est probablement celui où les hommes sont les plus durs avec les femmes. Mais il y a la jeune génération, cette élite intellectuelle, qui veut se débarrasser de ces carcans traditionnels, millénaires quasiment. Peut-être que cette jeune génération-là va être capable de changer des choses.

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Boréal

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