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Comment interpréter la loi 78?

Photo: Archives Métro

La loi spéciale soulève nombre de questions. Plusieurs s’interrogent sur l’application qui peut en être faite, et certains dénoncent le caractère vague de plusieurs articles. Métro a demandé l’avis de deux experts.

La loi peut-elle s’appliquer dans un autre contexte que le conflit étudiant?
Louis-Philippe Lampron, professeur de droit à l’Université Laval : Le titre de la loi semble ne s’appliquer qu’aux étudiants, mais il y a des dispositions qui sont libellées de façon très large, particulièrement celles qui s’appliquent à toute forme de manifestation.

Pierre Bosset, professeur au département des sciences juridiques de l’UQAM : D’autres affirment toutefois que, lorsqu’on interprète la portée d’un article de loi, on tient compte du but et de l’objet de la loi. Et la loi 78, comme le dit son titre, vise à permettre aux étudiants de recevoir un enseignement, etc. J’ajoute toutefois un bémol. Un corps policier ne fera pas nécessairement cet exercice d’interprétation. Et on a vu des manifestations où il y avait plusieurs insatisfactions exprimées, et pas seulement au sujet des droits de scolarité. Ça devient difficile pour les policiers de dire si ce qui est dénoncé est lié ou non.

La loi est-elle trop vague?
LPL :
Le législateur a le droit de légiférer et de donner un pouvoir discrétionnaire à certains fonctionnaires, comme les policiers. Mais il ne peut donner un pouvoir discrétionnaire absolu. Est-ce que la loi 78 donne un pouvoir discrétionnaire trop large? Il faudra voir concrètement comment on l’interprètera, car il y a des flous, mais aucune loi n’a vocation à être précise au point qu’on sache exactement comment l’interpréter en toute circonstance. Il y a toujours place à l’interprétation et aux pouvoirs discrétionnaires.

Une personne qui se fait arrêter en vertu de la loi 78 peut-elle invoquer le caractère vague de la législation?
LPL :
Oui, on peut avancer que la loi est formulée de façon arbitraire, car elle est trop floue et que le pouvoir discrétionnaire n’est pas suffisamment encadré. Mais il faudrait démontrer que la loi est trop floue, pas qu’elle est uniquement floue.

La loi permettrait-elle aux libéraux de restreindre les manifestations populaires au cours d’une campagne électorale?
LPL :
Les restrictions sur les droits de manifester s’appliquent à tous. En considérant, ce qui s’est passé à Victoriaville au cours du congrès des libéraux [où des manifestations ont dégénérés au début du mois du mai], est-ce que les policiers peuvent changer l’itinéraire d’une manifestation en invoquant une éventuelle atteinte trop grave à la sécurité publique? C’est une possibilité. La porte est ouverte.

P. B. : Si les étudiants manifestent devant un lieu où se trouve un député en campagne, c’est aussi pour mettre les députés devant leurs responsabilités. On peut interpréter que la loi s’applique à toute manifestation, qu’il y ait une campagne ou non, si c’est lié au conflit. C’est plausible. Et dans un contexte électoral, où on reconnaît une grande portée à la liberté d’expression, si cette loi s’applique et limite les manifestations, on pourrait prétendre que c’est une limitation disproportionnée à la liberté d’expression. Cette liberté n’est jamais absolue, mais tout est une question de proportion.

En déclarant qu’elle ne compte pas se soumettre à la loi, la CLASSE l’a-t-elle enfreinte?
LPL :
C’est une question d’interprétation. Mais s’il y a une désobéissance massive qui en découle, les porte-parole pourraient être passibles d’une amende. La version initiale du projet de loi était beaucoup plus large. On disait que quiconque incitait une personne à ne pas respecter la loi commettait une infraction. Les porte-parole de la CLASSE auraient été en infraction. Mais la loi amendée dit «quiconque amène ou aide». Ce sera donc un peu plus difficile à démontrer de la part du gouvernement.

P. B : En droit pénal et criminel, ça prend l’intention de commettre un acte criminel et le geste. Dans ce que j’ai entendu hier, la CLASSE annonçait son intention de ne pas se plier à la loi, mais il manque encore une infraction. Il faudra voir ce qu’il se passe dans les prochains jours. «Aider ou amener», plutôt que «inciter», est plus exigeant pour celui qui accuse. Ça demande une action, un geste concret. Ça complique la chose pour le gouvernement.

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