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Le témoin montre du doigt le «boss» Vaillancourt

Lia Lévesque - La Presse Canadienne

MONTRÉAL – Jean Roberge, le directeur général adjoint de la Ville de Laval qui a été suspendu de ses fonctions, a montré du doigt l’ex-maire de Laval, Gilles Vaillancourt, en rapportant qu’un tiers lui avait dit qu’il s’était entendu avec le maire pour avoir un contrat.

Devant la Commission Charbonneau, jeudi, M. Roberge a relaté qu’à quelques occasions, lors d’un appel d’offres public pour un mandat d’importance, un représentant d’une firme était venu le voir pour lui dire: «ce projet-là, il est à moi».

Il a demandé au représentant sur quoi il se basait pour être si sûr de lui.

«On a confirmé ça avec le boss», s’est-il fait répondre.

«Le boss, c’est qui?», lui a demandé M. Roberge.

«C’est le maire», a répondu le représentant de la firme.

Lors d’une rencontre ultérieure avec le maire Vaillancourt, M. Roberge a vérifié la véracité de cette affirmation. «Je lui posais la question: ‘j’ai eu la visite d’untel pour tel projet, est-ce que c’est vrai?’. Et il y avait toujours une affirmation, toujours très, très… ce n’était jamais oui avec éclat, mais il y avait un signe de tête ou il y avait une confirmation», a rapporté M. Roberge.

M. Roberge, qui a travaillé au service d’ingénierie de la Ville, avant de devenir directeur général adjoint, a admis avoir lui-même temporairement géré le système de collusion des firmes de génie.

Pour les appels d’offres sur invitation, seulement deux firmes étaient invitées à soumissionner _ le minimum prescrit par la loi _ et c’est lui qui choisissait le gagnant et l’en informait.

Collusion chez les entrepreneurs

Par ailleurs, il a confirmé l’existence d’un autre système de collusion, cette fois chez les entrepreneurs en construction de Laval. Il a admis qu’il avait joué un certain rôle dans ce système, mais beaucoup plus modeste que celui qu’il a joué dans la collusion entre les firmes de génie-conseil.

Pour l’essentiel, pour le système des entreprises de construction, son rôle se limitait à remettre la liste des preneurs de documents d’appels d’offres à Roger Desbois, un ingénieur de la firme de génie Tecsult, qu’il a qualifié de principal opérateur du système dans la construction.

Le système de collusion au sein des entreprises de construction a pris fin de lui-même, à cause des reportages dans les médias et des enquêtes policières.

Quant au système de collusion au sein des firmes de génie-conseil, M. Roberge a soutenu que c’est lui qui y a mis fin. Au printemps 2010, il en a même informé personnellement le maire de Laval lors d’une rencontre planifiée dans un centre commercial. «Je lui ai indiqué qu’au niveau de la gestion des mandats de services professionnels, c’était terminé. Ce n’était pas une demande (de ma part), je le lui ai dit», a relaté M. Roberge.

Le maire Vaillancourt «m’a juste demandé si je trouvais quelqu’un d’autre».

«J’ai dit ‘il n’en est même pas question, il ne pourra pas être alimenté de personne’», a rapporté M. Roberge.

M. Roberge a admis qu’il avait joué un rôle ambigu dans le régime, cherchant à la fois à le combattre, en améliorant les façons de faire de la Ville, et à l’alimenter, en y ayant participé. Il a expliqué son attitude en partie par le fait que le maire Vaillancourt était omnipotent, l’impressionnait, et qu’il ne se voyait pas, lui seul, changer les choses.

Argent donné et reçu

Avant qu’il n’arrive à la Ville de Laval, M. Roberge avait oeuvré au sein d’une firme de génie, Équation. Il a précisé qu’à cette époque, il avait donné à deux occasions une somme d’argent à un notaire pour remercier le politique. On lui avait fait comprendre que s’il était bon avec le politique, le politique serait bon avec lui, avec sa firme de génie.

La première fois, il a remis 10 000 $; la seconde, entre 6000 $ et 8000 $. Il a estimé «par instinct» la somme à donner, sans qu’on lui donne un pourcentage précis à atteindre par rapport aux contrats obtenus par sa firme de génie.

Il a aussi remis des cartes cadeaux d’une valeur de 3000 $ à 4000$ à Claude DeGuise, alors directeur du service de l’ingénierie à la Ville.

À une occasion, M. DeGuise lui a demandé si sa firme de génie pourrait préparer les plans et devis pour la fondation hydrofuge et résistante à la pression des eaux souterraines de la résidence personnelle de Claude Asselin, alors directeur général de la Ville.

Il a accepté, mais sa firme n’a jamais été payée pour ses travaux évalués à 400 $. La Commission a déposé la lettre, signée par M. Asselin, qui accepte pourtant le devis soumis par la firme de M. Roberge.

Lui-même a reçu une somme de 20 000 $, mais qu’il interprétait comme une compensation salariale lorsqu’il était rendu à la Ville. Il avait alors été embauché à un poste de moindre importance que prévu, parce qu’il ne portait pas le titre d’ingénieur, mais de technicien en génie civil, tout en exécutant les tâches de son supérieur. Lors de son embauche, il avait été convenu qu’il serait éventuellement compensé financièrement.

Un jour, il a été question de cette compensation salariale due avec le maire Vaillancourt. Le maire l’a alors informé que la compensation serait versée par M. Desbois. C’est ainsi le représentant de la firme de génie qui a donné 20 000 $ comptant dans une enveloppe à M. Roberge, haut fonctionnaire de la Ville.

Sur le coup, M. Roberge n’y a vu que le versement de la compensation salariale due pour cumul de tâches. Mais après coup, il a compris qu’il avait ainsi été acheté.

«Ce n’était pas plutôt pour vous acheter? Pour que vous continuiez le système de collusion?» lui a demandé le commissaire Renaud Lachance.

«Définitivement, définitivement», a répondu le témoin.

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