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Rencontre avec Sir Richard Branson, excentrique milliardaire

Photo: Metro World News

«Enchanté de faire votre connaissance!» s’exclame Richard Branson en me tendant l’index plutôt que la main. Ses auriculaires sont enveloppés d’un bandage, et il grimace de douleur. L’avant-veille, à l’âge de 61 ans, le fondateur du groupe Virgin, l’un des casse-cou les plus riches et les plus célèbres du monde, a établi le record mondial du sportif le plus âgé à traverser la Manche en surf cerf-volant. La veille, son fils Sam avait battu le record de la traversée la plus rapide, tous âges confondus. Malgré tout, il est déjà de retour au travail, à Londres, et sa journée est bien chargée. On peut d’ailleurs entendre sa voix résonner dans les corridors.

Le groupe Virgin, créé en 1966, comprend d’innombrables entreprises, dont une compagnie aérienne, une navette spatiale, des sous-marins, des clubs de santé, des organisations caritatives et une société cinématographique. De surcroît, Richard Branson a contribué à la fondation d’organismes ayant pour mission de sauver la planète, dont The Elders. Composé notamment de Nelson Mandela et de Desmond Tutu, ce groupe se consacre à la résolution de conflits mondiaux.

Quand il ne travaille pas, il s’amuse, assez ferme, sur son île privée, située aux îles Vierges (évidemment!). Ses champs d’intérêt diversifiés ont toutefois une chose en commun: une ambition démesurée.

On commence? Toutes mes félicitations pour votre record de dimanche dernier!
Merci beaucoup. Faites-vous du surf cerf-volant? Hélas, tous mes employés doivent pratiquer ce sport, sinon ils risquent de perdre leur emploi. Quand vais-je être votre patron?

Pas avant le mois d’octobre. Vous n’avez pas encore décroché le poste. Considérez cette conversation comme une entrevue d’embauche.
OK, OK. [Rires]

Pendant que vous étiez en train d’établir un nouveau record mondial, j’étais censé courir un marathon de 10 km, mais j’ai abandonné. À part quelques milliards de dollars, qu’est-ce qui nous différencie? 
Bien, je sens au fond de moi-même – et je viens à peine de vous rencontrer – que bien peu de choses nous séparent, si vous êtes prêt à courir un marathon de 10 km un dimanche matin. Vous profitez pleinement de la vie et vous tentez des expériences. Dans ma philosophie de vie, je préfère de loin dire oui que non, question de savoir ce dont je suis capable. Si mes enfants envisagent de traverser la Manche en surf cerf-volant, je ne veux pas être laissé pour compte. Je veux les accompagner. C’est fantastique de garder la forme et de repousser ses limites.

Portez-vous un jugement sur moi parce que je n’ai pas couru le marathon? Ou me jugeriez-vous si j’étais votre employé?
Hum! Je pense que les gens qui mettent un point d’honneur à essayer de prendre soin d’eux, à garder la forme, à demeurer en santé, je leur ferais plus crédit qu’aux personnes qui se laissent aller. Si vous êtes en forme et en santé, vous bénéficiez de trois ou quatre heures de plus par jour, et c’est le fait d’être en forme et en santé qui procure cette adrénaline. Rien ne bat ça, pas même l’alcool ou la drogue.

Qu’en est-il du sexe?
Hum! Oui, le sexe est très bon aussi. [Regarde sa montre.] Excusez-moi, il est l’heure que je parte [pour avoir des rapports sexuels]… [Rires] Non, non…

Vous allez mourir un jour. Cette perspective vous stimule-t-elle?
Je crois qu’il est contre-productif de penser à la mort, parce que… Je n’aime pas avoir des pensées négatives et, pour moi, la mort est une pensée négative. J’essaie de voir le bon côté des choses dans la vie. La mort peut poser la question suivante : à quoi certaines choses riment-elles?

La mort est une réalité. Même si vous êtes optimiste, vous devez composer avec la réalité, surtout en tant qu’homme d’affaires.
Une personne optimiste peut réaliser ses désirs, tandis qu’une personne pessimiste peut faire en sorte que ses pires craintes se réalisent. On m’a appris à être optimiste, à être positif. J’aime m’entourer de personnes positives. J’aime croire que rien n’est impossible. Plus j’avance dans la vie, plus j’ai des idées extrémistes. Côté aventure, nous essayons d’explorer les profondeurs de l’océan à bord d’un sous-marin ou d’aller dans l’espace, soit deux défis technologiques. Maintenant que j’ai presque concrétisé ces deux rêves, je nous fixe des objectifs plus ambitieux. Pouvons-nous trouver un remède au cancer du sein ou de la prostate ou encore au diabète? Pouvons-nous amener les meilleurs scientifiques du monde à guérir ces maladies au lieu d’envoyer des gens dans l’espace?

À cette fin, vous vous intéressez à l’entrepreneuriat social, c’est-à-dire les entreprises qui font de l’argent en améliorant le sort de la planète. Puis-je d’abord vous poser une question impolie? Pouvons-nous comparer nos portefeuilles? 
Vous savez, je n’ai jamais eu de portefeuille sur moi. J’ai peut-être fait fortune de cette façon: je ne traîne jamais d’argent. [Rires] Puis-je vous emprunter un billet de cinq livres? [Rires]

Y a-t-il quelqu’un qui trimbale vos cartes de crédit?
Vous savez, le plus drôle quand on fait de l’argent ou que l’on réussit dans la vie, c’est qu’on ne peut plus payer quoi que ce soit. Même si je dis que j’ai de l’argent et que je tiens à payer, on insiste absolument pour payer à ma place.

Très bien, j’allais faire valoir que votre portefeuille est probablement plus gros que le mien et que vous avez plus d’argent que tous nos lecteurs. Parfois, il est coûteux de démarrer ou de soutenir une entreprise sociale. Ce qui est mauvais (les aliments transformés, les voitures non hybrides, etc.) est plus abordable que ce qui est bon. Que peuvent faire les gens ordinaires?
Premièrement, vous devez analyser la définition d’un entrepreneur. C’est une personne qui, avec un peu de chance, créera quelque chose qui fera une différence dans la vie d’autres personnes. Quitte à consacrer sa vie à la mise sur pied d’une entreprise, autant en créer une positive. Si elle fait une différence positive, elle vous rapportera probablement de l’argent. Et si elle vous rapporte de l’argent, ce serait super si vous pouviez en investir une partie, ou mobiliser les gens qui vous entourent, pour tenter de régler certains des problèmes de la planète.

D’accord. Mais c’est délicat, car certaines choses très désirables laissent une forte empreinte. Par exemple, la quantité de dommages environnementaux causés par la fabrication d’un iPod est stupéfiante. Avez-vous un iPod?
Hum! Oui, j’en ai un. Et mon empreinte est épouvantable! Je possède 400 avions, une navette spatiale, 100 trains, 100 rames, etc. J’ai probablement l’une des pires emprein­tes carbone du monde. Néan­moins, à l’aide des profits que réalisent ces entreprises «sales», nous essayons de développer des combustibles propres et nous sommes à deux doigts d’y parvenir. Nous avons aussi créé Carbon War Room, un organisme à but non lucratif qui a pour but d’éliminer des milliards de tonnes de carbone. Et ainsi de suite. Nous sommes loin d’avoir équilibré nos comptes, mais nous essayons.Je crois fermement qu’acheter un iPad n’est probablement PAS la solution aux problèmes de la planète. La solution est technologique. C’est aux gens qui ont l’esprit entrepreneurial de prendre la place et d’investir dans des moyens de sauver le monde.

Vous avez émis le souhait que cette édition internationale de Métro porte sur la légalisation de la drogue. Si la drogue était légale, Virgin aurait-il une division qui vendrait de la drogue et des opiacés?
Comme je fais partie de la Global Drug Commission, j’ai décidé de ne pas investir dans le cannabis médical. Voyons, je fais partie de la Global Drug Commission! Je voudrais que la drogue soit traitée comme un problème médical, pas comme un problème criminel. La totalité [de la Commission] est d’avis que c’est la bonne façon de faire, comme tous les autres commissaires aux drogues. De toute évidence, la guerre à la drogue est un échec. Les pays qui traitent la drogue comme un problème de santé ont en grande partie réglé ce problème. Au Portugal, pour toutes les drogues, tant dures que douces, l’État fournit des seringues stériles et de la méthadone. Et ça marche! À titre d’homme d’affaires, j’ai décidé qu’il n’était pas sage d’investir dans ce domaine. Je perdrais ma crédibilité en tant que commissaire impartial.

Cela étant dit, j’ai apporté un joint. Allez-vous le fumer avec moi?
[Il réfléchit] Bien, certainement, mais, en ce moment, si je fumais un joint, je tournerais de l’œil, moi qui arrive à peine à parler tellement j’ai avalé de l’eau salée en traversant la Manche. Mais, en ce qui me concerne, et c’est ce que j’ai dit à mes enfants, je serais vraiment fâché s’ils commençaient à fumer la cigarette parce que je ne veux pas qu’ils détruisent leur corps. S’ils fumaient occasionnellement un joint, je ne serais pas inquiet. Donc, un jour, vous et moi fumerons un joint ensemble.

Peut-être lorsque vous serez rédacteur en chef invité.
Vous savez, je crois sérieusement qu’un virage est en train de s’opérer [concernant la légalisation de la drogue]. Le Mexique vient de perdre son président, qui faisait la guerre à la drogue. Il a perdu les élections. Dernièrement, la Colombie a légalisé le cannabis en petites quantités. Mon fils sortira un documentaire intitulé Taboo, un film puissant à ce sujet. Chose intéressante, si vous êtes d’accord, vous verrez que votre tirage augmentera considérablement si vous parlez de drogue.

D’accord. Nous vous enverrons une maquette et nous approfondirons certaines idées.
Le journal ferait preuve d’audace, mais tant pis. Nous pourrions parler de ce qui se passe au Portugal, en Suisse et en Allemagne. Je pourrais demander au président brésilien Cardoso et au président Carter d’écrire un article.

Jimmy Carter fume-t-il du cannabis?
Euh, il croit fermement qu’il devrait être légalisé.

Est-ce que tous les membres du groupe The Elders sont de cet avis?
Presque tous. Le président Cardoso, qui est à la tête de la Commission sur la drogue, fait partie de ce groupe.

D’accord, votre édition portera sur la drogue.
Et la prostitution!

Et la prostitution. Vous lanceriez-vous là-dedans? Vous auriez une division appelée Virgin – quoi?
Hmm… [Rires] Je ne pense pas que ce serait suffisamment lucratif!

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