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Les voix de Montréal: Saint-Henri, un passé en quête d’avenir

Photo: Alexander Henderson musee McCord
Fred Burrill, Steven High et Jean-Philippe Warren - Université Concordiac

Dans le cadre du 375e anniversaire de la ville de Montréal, Métro s’est associé avec l’Université Concordia pour vous faire découvrir des quartiers fascinants à travers leur passé et leur présent. Cette semaine: Saint-Henri.

Géographie

Saint-Henri est bordé par 
la rue Saint-Antoine au nord, le canal de Lachine 
au sud, la rue Atwater à l’est et l’autoroute 15 à l’ouest. Le quartier est cerné par plusieurs autoroutes 
(la 15, la 20 et l’autoroute Ville-Marie). Il est desservi par deux lignes 
de métro, la ligne orange (station Place-Saint-Henri) et la ligne verte (station Lionel-Groulx).

Hier

  • Saint-Henri est un des plus anciens quartiers de Mont­réal. Ses débuts remontent à l’établissement des premiers réseaux de pelleteries de la Nouvelle-France, au XVIIe siècle. La traite des fourrures entraîne l’établissement de tanneries. Or, comme Saint-Henri est alors traversé par plusieurs cours d’eau (dont le ruisseau Glen et la rivière Saint-Pierre), les artisans s’y trouvent en grand nombre. En 1825, 75% des hommes adultes travaillent le cuir. Englobant les villages voisins de Saint-Augustin et de Delisle, le village de Saint-Henri-des-Tanneries devient la ville de Saint-Henri en 1875, avant d’être annexé à Montréal en 1905.
  • Le déclin de la traite des fourrures n’empêche pas Saint-Henri de poursuivre son essor. La construction du canal de Lachine en 1825 et celle du chemin de fer dans les années 1840 vont contribuer au développement spectaculaire du secteur. 
De 1846 à 1945, près de 700 entreprises s’installent le long du canal afin de profiter de la voie maritime et de propulser leurs turbines.
  • L’établissement d’usines ne va pas sans contestation. Les ouvriers luttent pour de meilleurs salaires et des conditions de travail décentes. Ceux et celles qui se trouvent dans le secteur du textile font entendre leurs voix dès la fin du XIXe siècle, mais c’est vraiment au XXe siècle que s’engage la bataille pour la reconnaissance de certains droits qui sont aujourd’hui tenus pour acquis.
  • Madeleine Parent se distingue lors des luttes ouvrières. Cette organisatrice féministe, socialiste et syndicaliste est une figure centrale de la grève à la Dominion Textile, en 1946. Elle est arrêtée par la police et inscrite sur la liste noire du premier ministre du Québec, Maurice Duplessis. Léa Roback est une autre importante organisatrice syndicale et féministe. Cette Montréalaise juive maîtrisait trois langues (yiddish, français et anglais), ce qui était un atout pour elle.
  • Une nouvelle vague d’organisateurs et d’organisatrices communautaires prend le relais dans les années 1960. Les idées radicales (dont les idées communistes) fleurissent parallèlement aux tendances progressistes au sein de l’Église catholique. Avant d’entreprendre des missions en Amérique latine, les jeunes candidats au sacerdoce sont invités à aller vivre à Saint-Henri et à s’engager dans des organisations collectives. On dénonce une charité qui ne fait rien pour enrayer la pauvreté et encourager la justice sociale.
  • Le fruit de ces luttes peut être observé aujourd’hui. Si près de 20% du parc locatif à Saint-Henri fait partie d’une forme ou d’une autre de logement social (soit le double de la moyenne montréalaise), c’est grâce à des hommes et des femmes qui n’ont jamais baissé les bras.
  • Saint-Henri a servi de décor à des œuvres connues. La plus célèbre reste le roman de Gabrielle Roy Bonheur d’occasion, paru en 1945. Roy dépeint la vie difficile d’une famille ouvrière francophone pendant la Seconde Guerre mondiale. Bien que le livre ait été traduit en une douzaine de langues et adapté au cinéma, il n’a pas toujours été favorablement accueilli par les habitants du quartier. Interrogé en 1972, un certain René Cartier affirmait: «La personne est venue dans Saint-Henri pour faire le livre et du moment qu’elle a eu la chance de faire de l’argent, elle est partie et on ne la voit plus dans le quartier.»
  • Parmi les œuvres, il faut citer aussi le chef-d’œuvre jazz d’Oscar Peterson, Place St-Henri, de l’album Canadiana Suite. Le morceau se veut fougueux et rapide, à l’image du quartier. Peterson disait: «C’était censé représenter 
le petit quartier français 
de Montréal dans lequel je suis né… C’était une communauté animée et active, et 
je pense que l’air est fidèle 
à cette description.»


Manifestation «Les condos c’est pas le St-Henri que nous voulons!»

Aujourd’hui

  • L’ouverture de la voie maritime du Saint-Laurent en 1959 rend le canal de La­chine inutile. Les compagnies commencent à quitter Saint-Henri dans les années 1960. De 1960 à 1980, près des trois quarts des 24 000 emplois 
du quartier disparaissent.
  • Bien que le profil démographique du quartier change, il est encore majoritairement composé de locataires (74%) et est caractérisé par une proportion élevée (34%) de personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Les données les plus récentes du recensement indiquent un taux de chômage qui tourne autour de 12%. Près de 40% des ménages locataires sont officiellement considérés comme «mal logés», c’est-à-dire qu’ils consacrent plus de 30% de leur revenu au loyer. Un locataire sur 10 dans le Sud-Ouest consacre 80% de ses revenus au logement.
  • Il y a une vingtaine d’années, cherchant à donner une nouvelle vie au quartier, les élus locaux ont choisi de rezoner d’anciens bâtiments industriels pour leur permettre d’être convertis en unités résidentielles. Les promoteurs ont particulièrement visé les terrains en bordure du canal de Lachine, encouragés par un lifting de 100M$ financé par le fédéral et le municipal et par la réouverture du canal à la navigation de plaisance. De 2005 à 2011, plus de 2000 unités de condos ont ainsi été construites. Seize mille personnes vivent actuellement à Saint-Henri. Certains habitants font leurs courses au marché public Atwater, ouvert depuis 1933 dans un magnifique bâtiment de style Art déco.
  • De nombreux locaux se disent préoccupés par cette transformation rapide, au moment où on assiste à une flambée du coût des loyers. Malgré une longue bataille (partiellement gagnée) menée par les groupes communautaires contre les expulsions liées à la reconstruction de l’échangeur Turcot, près de 200 appartements ont été démolis pour favoriser une circulation plus fluide entre la banlieue et le centre-ville. Une récente étude menée par l’Institut national de recherche scientifique dévoile que des résidants se sentent de plus en plus marginalisés par l’embourgeoisement. Une femme interviewée dans le cadre de cette étude parlait d’un sentiment d’exil. «C’est comme si, dans notre quartier, nous ne sommes plus à la maison. Nous ne pouvons pas aller et venir comme nous le voulons.»
  • Abandonnée depuis 1989, l’usine de la Canada Malting est un des vestiges les plus emblématiques du passé industriel de Saint-Henri. Elle se distingue par sa douzaine de gigantesques silos, hauts de 37 m. Le site de l’usine a été source de controverses au fil des ans. Un projet de 700 unités de condos de luxe a été bloqué par des résidants et des groupes communautaires en 2013. Depuis, un nouveau projet a été proposé par la société immobilière Renwick Developments.
  • Le développement immobilier a été accompagné par une croissance rapide du nombre de restaurants et d’entreprises de luxe, allant de la restauration raffinée à de nouveaux cafés en passant par un salon de coiffure où, pour la somme de 1000$, vous pouvez vous faire raser avec un rasoir en or! Quand le festival Montréal en lumière de 2014 a organisé une tournée des nouveaux restaurants, invitant les participants à venir découvrir «l’aspect cru» du quartier, la réaction a été vive. La tournée a été interrompue, et finalement annulée, 
par des protestataires qui distribuaient à l’extérieur 
des restaurants des dépliants sur lesquels on pouvait lire: «On est-tu assez cru(e)s pour vous maintenant?»
  • Les résidants ont été fortement touchés par la poussière et la circulation résultant de la construction de mégaprojets d’infrastructure. Les enfants de moins de 12 ans arrivent au quatrième rang à Montréal pour ce qui est du taux d’asthme. Dans le cadre des travaux à l’échangeur Turcot, le ministère des Transport a pris la décision controversée, en septembre 2015, d’ensevelir les vestiges du village des Tanneries, à l’extrémité ouest du quartier.

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