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Pas raisonnable

Le New York Times a expliqué sa décision de ne pas publier la caricature de Mahomet qui avait, en 2006, mis le feu aux poudres et valu à Charlie Hebdo un procès dont il a été acquitté. Malgré toutes les excuses invoquées par le Times et d’autres publications anglo-saxonnes, je continue de ne pas comprendre.

Essayant de répondre à mon interrogation sur les réseaux sociaux, plusieurs personnes ont tenté de m’expliquer la vie, me rappelant que ce n’est pas parce qu’on est solidaire avec Charlie Hebdo que l’on est nécessairement d’accord avec tout ce qu’ils font. Certains d’entres eux ont évidemment cité la citation de Voltaire qui n’est finalement pas de Voltaire, au sujet de la liberté d’expression. Je comprends tout ça. Je sais faire des nuances.

Ce que je ne comprends pas, c’est comment le respect des croyances religieuses d’autrui requiert l’obédience à celles-ci.

Ce n’est pas seulement une question de liberté d’expression. Ici, la décision de se plier aux exigences d’une croyance remet en question notre façon de rapporter la nouvelle en se référant à un code de déontologie qui a fait ses preuves : montrer les deux côtés de la médaille pour que le lecteur puisse se faire sa propre idée. Dans le cas de la caricature de Cabu, on nous dit qu’il suffit de la décrire, qu’il n’est pas nécessaire de blasphémer le prophète – selon des critères qui m’échappent – pour permettre au lecteur de se faire une tête.

Or, la couverture faite par les médias refusant de publier ladite caricature prouve qu’il n’y a rien de plus faux. La plupart de ces publications – incluant CBC – n’évoquent que l’image de Mohamet avec la phrase: «C’est dur d’être aimé par des cons». Cette caricature serait effectivement assez raciste et offensante s’il n’y avait pas à côté la mention: «Débordé par les intégristes», qui fait en sorte que la boutade soit dirigée contre des fanatiques religieux et non contre l’ensemble des musulmans. Cette nuance n’est jamais évoquée. C’est pourtant ce qui semble avoir fait toute la différence dans le procès contre Charlie Hebdo.

Et même si elle était offensante, n’est-il pas du devoir du journaliste de la rapporter? C’est comme si, durant le débat sur la charte, nous avions rapporté ainsi l’incident impliquant Janette Bertrand : «Madame Bertrand a prononcé des paroles très offensantes à l’endroit des musulmans que nous ne reproduirons pas ici, car elles pourraient offenser des musulmans». C’est absurde.

Je comprends que Charlie Hebdo ait erré par le passé. Que sa ligne dure athée l’ait à l’occasion fait basculer du côté de l’acharnement et du racisme. Que plusieurs de ses blagues fussent de mauvais goût. À ce titre, Charlie Hebdo mérite évidemment d’être critiqué. Mais critiquer et restreindre ou interdire sont des choses bien différentes.

Charlie Hebdo a connu ses moments racistes, certaines de ses caricatures le sont foncièrement, d’autres sont atrocement sexistes. Je crois aussi que la liberté d’expression vient avec toutes sortes de responsabilités que Charlie Hebdo n’a pas assez prises au sérieux par le passé. Mais la caricature dont on parle n’a, en l’occurrence, pas outrepassé ces prérogatives. Les avis peuvent diverger, comme dans tout. On explique que selon la croyance musulmane, c’est le simple fait d’illustrer le prophète qui est blasphématoire. Soit. Pour toutes sortes de croyances, l’homosexualité, les jurons et le divorce constituent un blasphème. Depuis quand les personnes qui n’adhèrent pas à une religion doivent-ils en respecter les commandements? Si des principes religieux peuvent avoir préséance sur la liberté dans un état de droit, je me demande à quelle sorte d’état de droit réfère-t-on.

Certains avancent qu’il n’est pas nécessaire de publier des messages offensants pour témoigner de sa solidarité envers le principe de liberté de presse. Je suis d’accord. Mais je ne crois pas qu’il soit nécessaire publier les caricatures mises en cause par solidarité. Je crois simplement que les exigences d’une religion ne doivent pas nous empêcher de le faire. Ce n’est pas nécessaire, mais pourquoi s’en priverait-on? Je n’entends pas, dans les excuses invoquées par le New York Times, le Globe and Mail ou la CBC, de justification convaincante à leur position.

«Le problème, c’est que nous ne savons pas si c’est une caricature en particulier qui a suscité la colère des tueurs», estime le Globe and Mail. L’éditeur du New York Times a pour sa part tranché en affirmant ne pas vouloir heurter la sensibilité des lecteurs, en particulier de certains lecteurs musulmans, pour qui la représentation de Mohamet est un sacrilège. La CBC y est allé d’une excuse similaire, ajoutant qu’elle agirait de la sorte à l’égard de tout contenu pouvant être jugé blasphématoire pour d’autres religions, comme si on n’avait jamais entendu sacrer à la télévision nationale.

Toutes ces excuses sonnent à mes oreilles comme… des excuses bidon.

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